LES NOYAUX D'OR

Publié le par Patricia Gaillard

Combien de fois avons-nous rêvé d'avoir le temps de rêver ? Combien de fois avons-nous rêvé de prendre notre temps, ce temps qui nous échappe tant ? Le voilà qui s'arrête et nous laisse sans projet, sans liberté, sans autre désir que 'vivre'. Chaque conte nous souffle un éclat de la sagesse du monde. Rassemblons ces éclats, pour retrouver, peut-être, le trésor que nous sommes...

LES NOYAUX D’OR

C’était un garçon de belle taille, les muscles fins et longs comme tous ces gars des montagnes qui grimpent. Il était jeune, enjoué, comme ces chats qui sautent volontiers aux ficelles. Il était berger et ne savait même plus marcher autrement qu’avec ses bêtes qui trottinaient autour. Il était né un Dimanche et on sait bien que ceux qui sont nés ce jour-là ont des relations parfaitement naturelles avec des mondes que nous ne voyons pas.
Il s’arrêta ce jour-là sur les pentes rocheuses du Haut Koenigsbourg. Une fois installé, ses bêtes éparpillées au gré des touffes d’herbes fines, il fit ce que font les bergers : sortir son flutiau de sa poche et jouer quelques airs, dormir sur les mousses, le chapeau sur les yeux dans les parfums fleuris ou bien, d’un geste large, couper la tranche de pain et le bout de fromage. Et même parfois, du même canif, écorcer un joli bâton, le graver ou le sculpter selon ses dons. Un cadeau pour la belle amie qui lui faisait des nuits doublement étoilées, dans le tiède secret de la chambrette…

Mais ce jour-à, rien de tout cela ne le retenait. Il regardait les rochers de granit où le soleil ardent faisait scintiller une multitude de cristaux minuscules et il souriait en songeant aux dires des anciens, qui prétendaient que ces pierres étaient ensorcelées. Elles lui donnaient plutôt grande très envie de grimper ! Après tout on était à midi, les bêtes ne craignaient rien, elles étaient raisonnables et ne s’éloignaient jamais. Cette idée de grimpette réveilla ses jambes souples et notre luron sauta de pierre en pierre, mieux encore qu’une chèvre.

Il arriva très vite sur un petit plateau et vit, surpris, quelques tas de noyaux joliment posés, comme pour un jeu. Des noyaux propres, neufs, et d’un jaune presque doré, disposés en neuf tas de quatre… Ces rochers devaient être effectivement ensorcelés pour abriter un jeu aussi bien préparé ! Le jeune homme éclata de rire, il ne lui en fallait pas plus pour avoir envie de jouer. Quelle aubaine, pouvoir ainsi grimper et jouer, le jeune pâtre était tout à son affaire.
Un noyau éloigné et seul, un peu plus rondelet que les autres, semblait une bonne munition. Le berger le prit donc entre ses doigts, reluqua un des tas et visa sans plus attendre. Les quatre noyaux touchés se mirent à danser d’une façon inattendue, dessinant sur le sol des genres d’arabesques. Puis ils finirent tout de même par rouler vers le bord, pour s‘en aller tomber beaucoup plus bas.
Le garçon riait et s’amusait tout seul.
Il reprit le noyau qui semblait avoir grossi – une impression sans doute – puis dispersa ainsi un second tas, puis un troisième. Tous disparurent en contrebas, les uns après les autres, après la même danse étrange. Il restait un dernier monticule de noyaux, et c’était le plus gros, il brillait comme de l’or – le soleil sans doute – alors que tout à l’heure ils semblaient tous pareils. Le berger ne put résister à lancer son noyau qui grossit en roulant et qui disparut cette fois lui aussi, entraînant dans sa chute les quatre derniers…
Quel soupir d’aise poussa le garçon ! Quelle victoire délicieuse quand le jeu est gagné, mais quel dommage, ce plaisir qui s’achève.
Un doute soudain l’effleura, une espèce d’intuition… Troublé, il se pencha vers le gouffre qui avait avalé peu à peu tout le jeu et vit, tout en bas, un nain avec un chapeau pointu, une barbe longue, des yeux moqueurs et qui avait le nez levé vers lui :
« Dommage pour toi, ces noyaux n’étaient pas que des noyaux ! »
Puis il se baissa, pour récupérer une presque quarantaine de pièces d’or dispersées, qu’il fourra en riant dans un sac pendu à son épaule.
Le garçon se laissa glisser jusqu’à lui, rapide comme l’éclair, faisant rouler cailloux et terre sous son derrière. Mais déjà le petit vieux avait disparu et aucun noyau ni la moindre pièce ne traînait alentour.
Oh, il chercha longuement, croyez-moi, sans pouvoir renoncer.
La nuit était tombée qu’il les cherchait encore.

Il redescendit tard, ses bêtes autour de lui et le regard encore plein des richesses perdues.

Il grommelait qu’on ne l’y prendrait plus à jouer comme un gosse, devant quelques noyaux soigneusement disposés par un méchant farceur !

Il suffit parfois de si peu pour se trouver riche
Et de si peu aussi pour rester comme on est
L’or nous passe sous le nez mais il nous faut le voir

À bientôt !

La gaillarde conteuse…   

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