Le mardi des souvenirs... 2

Publié le par Patricia Gaillard

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Image TheOverKev - Pixabay

Le grenier

 

Mon enfance fut de ville. Un immeuble ancien au toit d'ardoises, une rue pavée, des becs de gaz et au bout une église de grès et sur le tout des pigeons nombreux assortis aux gris-bleu des toits et au rose du grès. J'étais dernière de six enfants, mes parents étaient très pris par les duretés de la vie, chance, j'ai pu vivre la mienne très tôt. Délicieusement. Lâchez dans une vie un enfant de cinq ou six ans, ans avec les sens qu'il a, plus celui du bonheur, puis laissez mijoter une bonne dizaine d'ans. Précaution importante : priez pour que sur son chemin le loup ne le mange pas. Vous aurez un jour, c'est presque sûr, un conteur, un écrivain ou un bavard, en tout cas quelqu'un comme ça, qui a des choses à dire.

Dans mon immeuble, après le troisième et dernier étage, partait encore un escalier. Étroit, quatre ou cinq marches  irrégulières, rugueuses, jamais cirées, qui arrivaient devant une porte, jamais ouverte. Quand je disais à ma mère : « c'est quoi? » Elle me répondait « le grenier »

Grenier… Ce mot était absent de mon tout petit dictionnaire intérieur.

Grenier… Lentement il était devenu mystère, porte fermée, chose cachée, peut être interdite, en tout cas inquiétante. Tous les ingrédients pour que naisse le grand désir d'y aller.

Un jour donc j'entamai l'aventure et mes deux pieds montèrent l'escalier convoité. Il grinçait, ajoutant ainsi sa pincée d'épices à une situation déjà bien relevée. La porte, étrangement, n'avait ni serrure ni clé. Seulement une poignée ovale de laiton terni que, tremblante mais décidée, je fis lentement tourner. Je me sentais dans Barbe-bleue que je connaissais déjà, malgré mon petit âge, parce que je possédais un grand livre de contes et le soir, après nos rudes journée, moi à découvrir la vie et elle à travailler, ma mère m'en lisait. Chance. Ce conte descendait dans une cave tandis que mon aventure me menait au grenier, qu'importe, qu'ils soient au-dessus ou en-dessous, ces deux lieux sont parallèles à la vie.

La porte s'ouvrit comme s'ouvrent toutes les portes. Une odeur familière m'accueillit aussitôt qui fut mon encourageante compagne pour aller plus avant.

Une immense charpente croisée couvrait comme un vaste  chapeau de grosse paille ce lieu peu ouvert au jour par quelques petites fenêtrons ronds qui donnaient sur un champ d'ardoises et de cheminées. Sous des poutres immenses, des rangées de fils de fer tendus pliaient sous le poids du linge blanc, étiré fortement entre de grosses pinces de bois. Connaissez-vous l'odeur du linge bouilli, frotté, battu, rincé dans la buanderie, cette maisonnette de femmes, en bas de la cour ? Je me souviens d'elles, de leurs visages rougis, de leurs manches relevées comme celles des ouvriers, toutes prises dans ces gestes rudes de la lessive, qui les montrent moins douces qu'on se les imagine et plus fortes que ne le dit l'épaisseur de leurs poignets. Ce mélange de lessive, de savon, d'eau brûlante, de coton chaud, de corps de femmes est parmi les parfums de vie, un des plus vivants qui soit.

Peut-être que grenier veut dire trésors, souvenirs d'ailleurs dans des coffres de bois et toutes sortes de merveilles comme ça ? Pour moi il sera pour toujours odeur de linge et paysages d'ardoises et de pigeons.

Toute petite fille j'ai découvert ce jour-là un lieu secret et délectable où telle une géante solitaire, je regardais les cheminées et les toits de mon quartier, tout en humant l'odeur adorée de ce linge. À partir de ce jour, j'y suis montée souvent. Plus grande j'y suis montée avec ma mère. Nous étendions sur les fils de fer, les gros draps lourds et humides, que même à deux nous avions du mal à soulever.

 

L'immeuble a disparu, le grenier avec lui 

Les choses meurent, vous le savez

 

Pourtant je remonte quand je veux, chance
Sur le tapis volant de la mémoire des sens  

 

Patricia Gaillard

 

la gaillarde conteuse 

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