Le Mardi des souvenirs 5

Publié le par Patricia Gaillard

 

Poupée de chiffon


Tiens, petite, je l’ai faite pour toi… »

J’ai tendu mes mains, je m’en souviens très bien et j’ai empoigné la poupée de chiffon. La dame qui la tendait était âgée et ses vieilles mains sèches semblaient des racines tourmentées. Elle avait l’air très fière de ce cadeau. La poupée pourtant n’était pas remarquable, en grosse toile beige, des yeux une bouche et des narines marqués par un peu de broderie grossière ne lui donnaient pas d’expression. Elle avait la tête encadrée de deux maigres nattes en restes de laine dans plusieurs tons de brun et son corps tout droit, tout mou, était vêtu d’une robe bleu foncé, un peu bouffante, un peu longue.

Cette poupée tendue me paraissait quelconque. Mais c’était un cadeau, je remerciai donc timidement et avec un sourire. Certaines vieilles dames étaient charmantes, elle était de celles-là.

Pourtant dans les jours qui ont suivi, peu à peu je trouvai à cette poupée un charme particulier et qui n’était pas esthétique. Le charme de cette poupée était son intemporalité. Je n’aurais pu le dire bien sûr, mais c’était cela que je sentais.

Elle aurait pu être celle d’une enfant archaïque dont la mère avec des restes de tissage aurait confectionné cette fille à sa fille.

Elle aurait pu être la poupée de toutes mes aïeules derrière moi.

Elle aurait pu être la poupée de n’importe quel temps ou de n’importe quel lieu du monde. Elle aurait même pu être cette poupée de Vassilissa-la-sage, ce conte où la mère mourante donne à sa fillette une poupée protectrice, une poupée-guide, qui va aider l’enfant à conserver ses « défenses ».

Elle aurait pu être La Poupée.

Elle aurait pu être La Poupée comme symbole.

Elle l’a été.

Cette poupée hors du temps, hors du monde, hors des modes et des courants a été ma première rencontre avec la notion d’intemporel. Ai-je découvert à travers elle ce qui en moi l’était aussi ? C’est en tout cas de la même manière qu’ensuite j’ai rencontré les arbres, les sources, les rochers, le vent et le chant des oiseaux, cette basse continue, patiente et stable qu’est la nature. C’est ainsi aussi que j’ai rencontré les mythes et les contes, imagerie fabuleuse que crée l’humanité sur l’écran vierge des mystères. J’ai pris alors un chemin que je ne quitterai plus jamais, je le sais, celui que fréquente cette part constante en nous quand elle est reliée à cette constante autour de nous. Le reste bien souvent me paraît passant, provisoire, éphémère, et paradoxalement irréel. Et c’est sur ce chemin que je vous invite à suivre parfois ces contes qui pour moi ne sont ni un passé, ni un présent, ni un futur, puisqu’ils sont justement ce qui échappe à tout cela. Puisqu’ils sont un ailleurs. Et cet ailleurs n’est-il pas le fond de nous encore méconnu, mais pressenti, le centre de notre labyrinthique quête ? C’est là leur merveille. Et la nôtre, sûrement.

 

la gaillarde conteuse 

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