LE DRAGON DE SOUCIA 3ème et dernière partie
3ème et dernière partie
De l’autre des bras volontaires avec des fourches, des pelles, des pioches, l’épée, que sais-je encore, ça tombait dru des deux côtés.
Il n’y eut pas de mort. La bête s’écroula à plusieurs reprises, elle semblait vaincue, complètement. Alors elle léchait le sang qui débordait , rose et épais, des plaies béantes de sa grosse peau verdâtre et jaune, tissée d’écailles, comme une armure d’or. Tout en léchant elle roulait des yeux malades. Pourtant elle reprenait vigueur et revenait à l’assaut, presque neuve. C’était désespérant. Les garçons faiblirent, leurs forces s’essoufflèrent, ils durent abandonner.
Devant leur courage et leur douleur le village entier se rallia à eux dans une fervente et sincère prière qu’ils adressèrent en chœur à Saint-Georges lui-même qui a une forte expérience en matière de dragon. Et il les entendit. Si un Dragon peut nous dévorer, un saint homme peut nous entendre, l’un n’est pas plus étonnant que l’autre. Il les entendit donc.
Descendit-il ici sur son cheval, armé d’une lance et gainé de l’armure, pour nous rappeler de lui l’image qu’on connaît ? je ne crois pas. En tout cas, il envoya le jour de la Saint-Georges, un gel à fendre les pierres. Bien sûr les travaux de la terre en furent horriblement contrariés. Et cette année-là, si le dragon ne mangea plus, les hommes ne mangèrent pas non plus ! Mais il faut savoir ce que l’on veut. Du moins dormirent-ils bien.
En tout cas, gel ou pas, les jeunes hommes reprirent dans leurs mains décidées les outils de bataille où le sang rose avait séché, épais comme un coulis de fraises. Le combat reprit donc, tout aussi violent et tout aussi égal dans l’échange des coups. La bête en eut plusieurs et de très mal placés, son sang coulait déjà, mais ce froid infernal (!) qui collait les armes aux doigts rougis, gelait comme un sorbet le sang rose et épais. Au bout d’un temps bien long, privée de sa propre nourriture qui lui chauffait le cœur et qui fouettait ses énergies, la bête roula sur un côté, ses yeux devinrent liquides et verts, comme l’absinthe. Des convulsions brutales secouaient cette masse rugueuse. Le Dragon lançait des plaintes indéfinissables, qui étaient si tristes et si longues ! Les gens de Soucia s’en souvinrent longtemps. Il ne reste de nos jours plus aucune de ces oreilles-là, évidemment.
Puis les plaintes cessèrent, d’un coup. L’absinthe luisante des deux yeux devint une eau sale et gelée. Le dragon était mort. Tous sortirent des maisons, adultes, enfants, vieillards et chiens, pour voir ce spectacle fabuleux. Mais ils ne virent rien, ou presque, car telle une boue flasque et verte, le grand corps s’étala, et disparut très vite. Certains, qui espéraient lapider sa dépouille pour venger les disparus, étaient déçus.
Enfin le village de Soucia perdit cette menace, ce tourment, ce commerce indécent. Soucia perdit ce souci-là.
On construisit à Soucia une église dédiée à St Georges.
Dans le moment on pensait que c’était le plus honorable remerciement.
La vie revint, normale, avec les peines et les joies qui font les vies et elle resta ainsi.
Peut-être que les enfants, le soir, dans leurs lits, pensent encore à ces histoires. Les raconte-t-on encore par ici ? Les jeunes filles savent-elles, si elles sont jolies, qu’elles ont bien fait de naître dans le temps d’aujourd’hui…
à bientôt !
la gaillarde conteuse...