ÊTRE SOI
Chacun de nous est une clairière dans la forêt du monde. Pour s’y tenir il faut se défaire du vêtement que l’on porte, qui a été filé, tissé, cousu, brodé par l’éducation et les habitudes, les peurs, les conventions et les certitudes. Le tissu est épais, lourd, trop laid ou trop beau, « trop » de toute façon. Il recouvre ce que nous sommes en vérité. C'est à se demander pourquoi on le conserve ainsi. L’ôter, l’accrocher à une branche, c’est risquer d’avoir froid, au début, c’est inconfortable. Oui, mais l’inconfort réveille !
Être réveillé permet de sentir la douceur de la clairière, d’entendre son silence. Autour, dans la forêt du monde des voix courent, nous appellent, nous disent que tout a besoin de nous, que nous manquons au monde.
Ta ta ta, attention, c’est le ver secoué pour agacer la truite.
Demeurer ici un peu seulement, ne sert pas à grand-chose. Si, tout de même, ça nous permet de savoir que le lieu existe, qu'il nous attend. Parfois nous repartons très vite, et nous mettrons des années à revenir, alors que nous étions convaincus de ne pas tarder à nous installer ici. Ce n’était pas encore le moment, sûrement. D’ailleurs il ne s’agit pas d’y rester sans cesse, mais d’y être présenté à nous-même, de prendre le temps de se refaire un vêtement, mais le nôtre cette fois, pas ce prêt-à-porter que nous endossons tous.
Lorsque nous l’avons fait, le monde change de couleur, car nous avons changé.
Et puis dans la forêt du monde on nous regarde, on est intrigué.
Celui qui ose tisser son vêtement lui-même étonne, charme, réveille...
Patricia Gaillard