LE CHARIOT D'OR
LE CHARIOT D'OR
Bien des légendes nous parlent de trésors enfouis au ventre de la terre ou dans les eaux profondes et qui restent, par magie, inaccessibles aux hommes. L'histoire qui s'ouvre évoque un grand chariot d'or, au milieu d'un trésor caché au fond d'un lac et gardé par les esprits des eaux qui font grand peur la nuit à ceux qui se rendent là dans l'espoir de s'approprier cette merveille.
Car les nuits de pleine lune - dont on sait qu'elles sont chargées de bien des prodiges inexpliqués - ce chariot monte à la surface et s'approche des berges. Une très vieille croyance dit que celui qui réussira à l'attirer jusqu'à la terre ferme en sera l'héritier, mais aucune parole ne devra être prononcée, ni même murmurée, car un charme est fragile et facile à briser.
Nul encore n'y avait réussi quand cette histoire est arrivée.
Ils étaient frères tous les trois, aventureux et pauvres. Ils rêvaient depuis l'enfance de ce chariot d'or, entrevu dans les récits de leur mère Sundgauvienne (d'une région d'Alsace) Faut-il prendre les désirs pour des réalités ? C'est ce qu'ils firent, bien d'accord tous les trois.
Ils choisirent la bonne nuit, la bonne lune, la bonne heure avec un très grand soin, pour être certains de réussir l'affaire. Et surtout une devise, une seule, que l'aîné rappela d'un ton d'autorité : "Silence !"
Ils arrivèrent lentement, au début de la nuit, munis d'une lanterne dont la flamme fut très vite soufflée, car la lune offrait à elle seule un éclairage convenable. Les eaux étaient très calmes, pas la moindre ridule ne plissait leur miroir. La sérénité du paysage se défit vers minuit, du fond du lac montèrent de gros remous. Le lieu entier paraissait soudain une immense marmite bouillonnante. Des pots et des vases d'or, extirpés du trésor par cette vague surnaturelle, tanguaient à la surface comme de petits bateaux. Tout à coup le chariot, bien plus grand et plus gros encore que dans leurs rêves, surnagea, magnifique, sous les rayons de la lune bleutée.
Tout était bien prévu : le premier des deux frères tendit de ses deux mains un long bâton crochu, le deuxième tenait bien le premier, le troisième enfin faisait, dans le plus grand silence, de grands gestes utiles à l'avancée de la manoeuvre. Très vite le chariot toucha la rive. À trois ils l'agrippèrent, le tirèrent, mais une roue resta coincée entre deux gros cailloux. Alors ils poussèrent, secouèrent, soulevèrent, sans compter leurs efforts et surtout sans émettre le moindre petit son, quand l'aîné - lui qui avait tant incité au silence - agacé, le brisa d'un coup : "Allez hop !"
Alors le charme, fidèle à sa séculaire réputation, se rompit aussitôt. Le chariot enchanté se précipita au fond des eaux à une vitesse incroyable, emportant avec lui les trois hommes agrippés.
On ne les revit plus. Ont-ils pu contempler, au moins, le trésor que ce lac retenait tout au fond ?
Je l'espère, car la mort est plus douce quand on touche ses rêves avant de s'en aller.
Ce lac n'existe plus, il a disparu et avec lui toutes ses merveilles.
Dans quel monde intérieur attend-il notre simple visite ?
à bientôt !
la gaillarde conteuse...