Les histoires du Lundi 3 - Mathieu de Goux
Mathieu de Goux
Il y a près de Dole, une fontaine qui coulait déjà au temps de nos ancêtres celtes et qui fut consacrée à Diane, durant la gaule romaine. On l’imagine bien, statue travaillée dans la pierre, immobile près d’un cyprès d’éternité au-dessus de cette eau qui murmure. Diane, Déesse-lune, Déesse-biche, gardienne de la nature entière. Diane, tu es dans chaque Dame verte qui court. Robe de feuilles, couronne de mousses, prunelles en collier sur la peau douce, voile en toiles d’araignées, soulier de feuilles de noisetier… Diane, éphémère, éternelle, assise légère sur la margelle des puits, à l’heure où la nuit sans lune nous trouve endormis.
Un docteur en féerie, Roger Mignot, nous parle de Diane comme la Reine de toutes les Dames-fées, elle serait d’après lui devenue peu à peu la Dame verte que l’on trouve chez nous, ou ailleurs.
Il y a environ un millier d’années, Mathieu de Goux avait cette fontaine sur ses terres. C’était un homme qui riait de ces Dames, c'était donc un précurseur de nos temps neufs.
Il entendait parler de Dames blanches, de tout petits hommes vifs comme des follets, d’un serpent doré à escarboucle qui se baignait le soir dans sa fontaine. Il s’en moquait en riant largement. Sa plus vieille servante, qui ne quittait plus le manoir, mais qui était bien savante, disait parfois de lui qu’il était trop fermé à ces histoires et qu’il finirait bien par y croire. Elle avait l’air sûre d’elle.
Un soir qu’il chevauchait par la forêt de Chaux pour rentrer chez lui, il vit au détour d’un sentier un décor impossible. Un immense palais éclairé par des milliers de torches, resplendissait dans une clairière. Son cheval s’y rendit de lui-même et s’arrêta au pied d’un escalier large et arrondi, aussi naturellement que s’il avait rejoint son écurie. Mathieu, fortement intrigué descendit à terre. Le sol était doux comme un tapis et de gracieuses créatures, vêtues de robes vertes et diaphanes arrivèrent vers lui, lui prirent les mains et l’entraînèrent avec elles. Leur odeur inconnue, leurs grands yeux verts jaspés d’or, leur peau blanc de lune, tout était délectable, irrésistible. Ils montèrent ensemble l’escalier, puis elles le poussèrent dans des couloirs labyrinthiques puis s’arrêtèrent enfin, pour disparaître à pas glissés, avec des rires clairs. Une femme se tenait assise devant lui sur un trône transparent et limpide comme une eau. Sa beauté et les parures d’émeraudes qui couvraient très peu son corps, étaient des choses introuvables dans le monde. Elle l’invita à partager un repas, servi sur une table ronde. La nappe était de lierre, les assiettes de fer et les coupes de terre. La poudre d’or des eaux du Doubs étaient semée un peu partout et lançait des reflets chauds sous la lumière de la lampe suspendue dans le vide, lampion léger tissé de brume matinale, où tout un peuple de lucioles donnait dans des rondes joyeuses, une luminescence verte et délicieuse.
A table ils se mirent l’un près de l’autre. Mathieu était troublé. Des mets apparurent dont il n’aurait pas même pu imaginer l’existence et les coupes se remplissaient d’elles-mêmes d’un vin qui ferait frémir nos plus grands sommeliers. Et dans la terre et dans le fer défilèrent de grandes voluptés.
Mathieu était aux anges, sa compagne avait des yeux de biche, de son corps ambré émanaient, au gré des gestes, des parfums de forêt, de soleil et de fleur. Elle se fit tendre, très tendre, langoureuse, amoureuse. Il ne résista pas un instant à ce charme qui en était bien un. Le lit où ils roulèrent étaient du même goût que la table et les mets servis là, tout aussi prodigieux, mais d’une autre nature, où la nature d’ailleurs a gardé tous ses droits, et nous les garde encore.
A l’aventure Mathieu ne trouva rien à redire, sot qui le ferait. Il passa une nuit somptueuse et ronfla gaillardement vers le petit matin.
Et c’est là que la farce se montre. Notre homme se réveilla dans une grande puanteur. Il était juché sur un fumier ! Près de lui le cadavre d’une vieille, tordue et pourrissante, était visité par une belle nuée de mouches vertes et brillantes.
Mathieu ne sut jamais ce que fut vraiment cette nuit mystérieuse de sa vie. Ce doute le rendit beaucoup plus souple et beaucoup moins fermé à la féerie. La nature a son charme et tient à le garder. Si nous nous moquons d’elle, nous allons nous trouver, au coin d’un sentier de forêt, à suivre des mouches qui emportent, notre vieille terre morte.
Diane nous joue des tours. Méditons sur nos jours…
Dans CONTES ET LÉGENDES DU JURA - Patricia Gaillard - Éditions De Borée