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Merveilleux Jura

Publié le par Patricia Gaillard

Me revoilà, après une aventure complète, avec épreuve, trésor, bref, un conte...

Aujourd'hui je viens à vous avec mon merveilleux Jura, terre d'adoption,
celle qu'un jour j'ai reniflée et reconnue pour mienne.
Elle est tellement truffée de contes et de légendes
que je n'ai pas pu les consigner tous dans mon gros ouvrage
paru chez De Borée éditions en 2007 !

Partons pour Bletterans, et suivons Charles Nodier, cet homme érudit, romancier, herboriste, poète, grammairien et précurseur du surréalisme. Il a vécu à Quintigny autour de mille-huit-cents. Il a publié de nombreux contes, d’histoires de vampires et de revenants, des romans noirs et fantastiques. C’est lui qui de cette phrase, nous accompagne dans notre singulier voyage :
« On ne recommence plus,

 Mais se souvenir,

 C’est presque recommencer… »

 

Sûrement que les paysages d’ici, les soirées brumeuses des  marais, les reflets lunaires sur le miroir des eaux, les présences nombreuses des êtres féeriques tout autour des étangs, ont marqué de poudre d’or et de magie son front de rêveur infatigable.

Savez-vous qu’autour de Relans, on peut rencontrer le cheval sans tête, celui que l’on craint tant, qui parfois se baigne dans la mare rouge, quand il ne pose pas ses pattes sur nos épaules pour nous accompagner dans notre fuite ? C’est cette même mare rouge au fond de laquelle deux cloches résonnent en chœur, chaque mi-nuit de Noël. Elles sont par là aussi les Dames vertes, qu’on entend chanter si on a l’oreille fine, qui dansent légèrement en compagnie des follets, sous les rayons bleutés et doux de la lune. Eloignons-nous, c’est qu’elles sont folles quand elles arrivent à prendre l’un de nous, pauvre humain impuissant à se défendre contre leur force vive de méchante moqueuse. Et cette poule noire, qui n’est pas vraiment poule, qui est une lutine, (une femelle-lutin…) qui possède des pouvoirs, celui par exemple, si on arrive à lui faire couver une pièce d’or, de multiplier à l’infini ce trésor… le tout étant d’attraper la poule et de posséder la pièce d’or à couver. Pas facile.

Près de Chapelle-Voland, les marais, les étangs sont nombreux. Jadis des Dames noires glissaient la nuit juste au-dessus des mousses trempées. Les Dames noires sont rares, nous les connaissons mal. Une fois un homme les a vues. Il était bien caché derrière un très vieux hêtre, un foyard, cet arbre des fées. Il les a vues comme je vous vois. Il les a vues bien nettes, étranges dans leur glissement souple, tous leurs visages couverts de capuchons luisants qui semblaient de velours, les corps fluides et longs enrobés d’étoffes bruissantes, noir de nuit, où se voyaient, éparpillées,  quelques étoiles  minuscules, peut-être de tout petits diamants. Il était subjugué par leur ronde ténébreuse, silencieuse et lente. Mais soudain et sans raison le spectacle changea. Dans un tourbillon d’encre tout leur noir disparut. Elles devinrent blanches, recouvertes de voiles immaculés et translucides. Elles déployèrent leurs bras, qui devinrent des ailes de cygnes, puis montèrent jusqu’à une lointaine trouée de nuit  qui les mangea toutes et se referma derrière elles. Et tout autour de lui redevint normal. L’homme se sentit grandement fatigué et il s’en retourna chez lui. De ce soir-là plus jamais on ne les revit dans ce pays. C’est comme je vous le dis. 

Vers Larnaud on a connu des loups-garous, comme à Poligny, à Plasne, à Amange, à Authume, autour de Dole et ailleurs, dans ce seizième siècle de trop terribles misères. Ces loups n’étaient ni des animaux, ni des esprits, mais ils étaient des hommes. Ils avaient cette maladie bizarre et très inquiétante de se croire des bêtes sauvages et de commettre les carnages assortis à cette nature secrète qui semblait réclamer de la chair et du sang. Certains dit-on, ont dévoré des enfants. Crus. Croisons-les sans nous arrêter, ils ne sont pas du petit-peuple de notre imaginaire. Ils sont comme ces sorciers, qui prétendaient honorer dans leurs danses de sabbat, le diable lui-même… pieds de bouc, cornes d’or, queue fourchue, la peau plus rouge et plus brillante que nos belles cerises ! Certains, qui ces soirs-là, embrassaient dévotement son derrière nu et chaud, obtenaient de son rectum velu de belles pièces d’argent pur… (l’argent n’a pas d’odeur, c’est du moins ce qu’on dit) 

Tous ces sorciers-jeteurs-de-sorts, ces faux-loups, ces sorcières-magiciennes, ces fêtards de clairières, ces embrasseurs de sous, tous pauvres vendus ou pauvres fous, ont péri dans les flammes frénétiques des bûchers, sous les regards de juges bien aussi fous… 

Ce sont de tristes histoires vraies, si éloignées des apparitions poétiques de nos fées de campagne et de la Vouivre, qui surgit à présent du très vieux château d’Arlay. Vient-elle du donjon, de la porte de l’épinette, ou des grottes souterraines ? Allez savoir… elle s’en va hanter le vieil étang des Tartres, s’arrêtant au retour à la Fontaine du Héron, boire cette eau merveilleuse aux vertus innombrables, dont nous allons déguster un instant la merveille. Suivons notre compagne, ce symbole lumineux de ma chère Comté. 

 

Si la Vouivre contait, elle pourrait nous narrer l’origine du monde.

 

Bleit ran » signifiait chez les celtes, « traversé par une rivière »,  qui est devenu Bletterans, bien sûr, haut lieu d’élection du Basilic… c’est un elficologue* à qui je cède la parole sur ce point…

« Sorti d’un œuf de coq couvé par un crapaud, le basilic doit à cette origine d’être d’une grande rareté. Il a les pattes et la tête d’un jeune coq, sur un corps de serpent venimeux. Ses ailes sont lisses comme celles d’une sauterelle. Ses yeux jaunes, plus grands que des soucoupes, peuvent, sur un seul regard, vous rendre fou ou vous tuer. A Bletterans et ses environs, le Basilic se tient dans les trous des murs et porte malheur aux maisons dont il habite secrètement les combles. Dans le vallon de la Seille, un Basilic s’oppose éternellement à la prospérité des meuniers (d’après Charles Thuriet) La preuve, les meuniers ont disparu. Le Basilic quant à lui, rôde encore… »

Merci Hervé Thiry-Duval !

(L’esprit féerique - Dictionnaire des fées en pays Comtois)

 

N’empêche qu’ici ils disent eux-mêmes que « La Bletteranie est un pays de cocagne. Poulets, fromage de Comté, côte et crémant du Jura, vin de l’Etoile, liquoreux Macvin, fabuleux vin jaune et doux vin de paille… » La foire de la « mis’tembre » s’y tient encore, et cela depuis plusieurs siècles.

 

Laissons en tête à tête l’Elficologue et la douceur du soir…

Et partons vers Voiteur, suivez moi dans le noir…

à demain...

la gaillarde conteuse !

 

 

*Elficologue :  docte et gentille personne du monde réel, qui fréquente quotidiennement le peuple invisible qui pour lui ne l’est pas… personne dotée du troisième œil qui voit très sincèrement ce qu’habituellement on suppose éventuellement. L’elficologue vit très vieux, conservant tout du long une belle fraîcheur. L’elficologue est un être hors du commun, celui qui sait y lire, le verra dans ses yeux, qui sont doux à l’extrême. Il s’éteint généralement un grand sourire aux lèvres, et si vous ouvrez un jour sa dernière demeure, vous constaterez qu’il n’y est pas resté. Des tâches passionnantes et nécessaires le maintiennent suspendu entre le zénith et le nadir des rêves de l’humanité… en connaître un est un bonheur, deux est un miracle, mais en connaître trois me semble un  mensonge véritable.  (Ne les cherchez dans aucun dictionnaire, d’une manière générale, on prend encore très peu leur existence au sérieux.)

 

 

 

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L'ERMITE

Publié le par Patricia Gaillard

À Mulhouse, en Alsace, où je suis née il y a, tout en haut d'une colline au-dessus de la ville, une forêt qui s'appelle le Tannenwald. Enfant, j'avais une passion pour ce lieu où j'ai vécu ces émotions forestières puisées dans les automnes flamboyants et dans les parfums des hêtres, des faînes, des sapins et des champignons. Bien plus tard, lorsque j'ai entamé l'écriture du répertoire alsacien et de ses contes et légendes, pour les éditions De Borée, j'ai eu la grande joie de découvrir qu'une belle légende était rattachée à ce bois cher à mon coeur. Cette légende la voici et je l'aime autant que j'aime cette forêt du Tannenwald !

Certains êtres quittent le monde et son curieux désordre pour vivre en solitaire au fond des bois. la nature devient alors leur compagne, leur demeure, leur nourriture et leur joie. Ils prétendent ainsi se tenir au plus près du créateur.

Ludigari était de ceux-là. Il avait consacré son coeur à Notre Dame des Ermites*, une statuette de vierge noire qu'il avait vue lors d'un pèlerinage.
Il s'était alors retiré dans la forêt du Tannenwald et il était devenu peu à peu frère des plantes, des bêtes, des sources et leurs secrets, au fil des ans, s'étaient ouverts à lui. Il se nourrissait de baies, de fruits sauvages et de racines à la belle saison, de noisettes, de faînes et de cenelles aigrelettes à l'automne. Il partageait cette provende patiemment glanée avec les petits animaux du bois quand arrivaient ces jours rudes où notre hiver pose, comme il sait si bien faire, des vents et des gels splendides et meurtriers.

À force de vivre ainsi, Ludigari avait fini par devenir noueux et sec comme un arbre, avec des yeux limpides comme l'eau. Il portait une barbe et des cheveux très longs, d'une blancheur nacrée. Il ne parlait plus. Le langage était la dernière chose dont il s'était défait et ceux qui le cherchaient dans sa cabane de lierre et de branchages - car il avait des herbes une fine connaissance et ne refusait à personne ses recettes merveilleuses - ceux-là trouvaient un homme dont le regard très doux et les gestes de bonté disaient, sans le secours des mots, l'essence de la vie.

Mais la mort nous cherche tous quand notre heure a sonné, sans jamais considérer qui nous sommes. Aucun mérite, aucune faute ne saurait influencer sa banale besogne.
Elle entra un jour au Tannenwald...
Le vieil ermite, ce matin-là, alors qu'un beau printemps réveillait tout de sa douceur exquise, sentit une lame froide circuler dans son sang et il sut, lui qui sentait les choses impalpables, que le temps était venu pour lui de glisser dans la mort. Il ne la craignait pas, en quittant le monde il était déjà mort aux vanités et aux désirs, il avait donc accompli depuis longtemps tout un pan de ce travail et son coeur ne connaissait pas l'angoisse.

Il s'allongea dans sa hutte, sur sa couche de foin, et prépara son âme à ce voyage, priant Notre Dame des Ermites de tout son coeur. Un prodige d'une adorable simplicité alors se déroula... les animaux du bois défilèrent lentement, les uns derrière les autres, pour rendre hommage à leur frère mourant. Ils étaient tous là, du loup qui portait sa tête baissée, au ver luisant qui tendait sa lanterne fragile dans la sombre cabane où l'homme agonisait.

Ah si nous avions pu voir, dans le silence recueilli de la belle forêt, la procession gracieuse et lente de ces bêtes ! Elles nous auraient rappelé, sans pourtant dire un mot, que nous sommes avec elles le peuple de la terre.
Ludigari le savait, lui, et bien des choses que nous ne savons pas encore...
Et après la visite de la toute dernière des toutes petites bêtes, notre ermite abandonna son souffle et s'en alla, bienheureux...

de tout ce que j'ai pu écrire, cette histoire-là est de loin la plus chère à mon coeur...
à bientôt
la gaillarde conteuse...

* Statue de la Vierge en bois de poirier, non en bois noir, mais noircie par les cierges et les encens, qui a été nettoyée par un restaurateur puis peinte en noir pour rester fidèle à son image. Elle se trouve encore à l'abbaye bénédictines d'Einsiedeln (qui signifie ermite) en suisse, fondée en 934 par Othon 1er et la duchesse Reglinde de Souabe. Cette sculpture date probablement du XVè siècle, et elle a échappé à cinq reprises à des incendies qui ont ravagé de très nombreux et précieux manuscrits de cette église.

 

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