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43 résultats pour “Calendrier de l���Avent

Conte du 18 Décembre - Calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

Le bonhomme brouillard

Au château d’Herrlisheim, la belle dame priait pour son époux, qui était son chevalier et qu'elle aimait de tendre amour. La croisade l’avait avalé et emporté dans un Orient étrange, où son âme si brave et son épée redoutable avaient Dieu à servir. Il lui avait promis mille merveilles rapportées de là-bas, qui feraient peut-être oublier cette séparation, mais elle était si inquiète qu’elle ne cessait de monter au créneau, pour regarder le chemin qui grimpait au château. Parfois une légère poussière et un galop lointain, faisaient battre son cœur. Mais c'était autant de larmes qu'à chaque fois elle versait, car jamais ces signes n’étaient ceux de son grand chevalier. Ses nuits étaient traversées de rêves de batailles et elle voyait son corps chéri tout transpercé de flèches et de pointes, la cotte visqueuse d’un sang dont le rouge vibrant la réveillait en sursaut et la tenait épouvantée et malheureuse des heures entières, les yeux grands ouverts dans le noir.

Elle ne le vit jamais revenir. Un jour un galop approcha, dans une belle poussière, elle crut reconnaître le cheval noir de son aimé, courut autant qu'elle put ! C'était un messager qui venait annoncer ce qu'elle craignait le plus. La vérité la fendit comme une dague, elle perdit connaissance.

Longtemps, bien longtemps, ses jours furent des jours de veuve. Des heures solitaires, noires, nostalgiques, maladives et cruelles. Mais il n'y a rien qui ne résiste au temps, même les roches les plus dures. Peu à peu elle ne cessa de pleurer, puis se reprit à rire, acceptait même une fête, un banquet, une ducasse, de temps en temps... Encore jeune et fort jolie, elle inspira bien sûr des soupirants nombreux. Elle les refusa tous. Elle se voulait fidèle à cet amant perdu tout au bout de la mer.

Il en vint un, cependant, qui lui ressemblait tant, à ce chevalier mort, qu'elle se sentit prête à le garder près d'elle. C'était si doux soudain de plonger son regard dans un regard et de rêver une vie nouvelle. Elle lui céda. On prépara les noces...

Mais en terre que l'on dit sainte, son époux se remettait lentement d'atroces blessures qui l’avaient maintenu longtemps dans cet endroit, très singulier, qui n'est ni la vie ni la mort. Un soir, à la tombée du jour, alors qu'il sommeillait dans une tente, il entendit très nettement sonner les cloches de la chapelle de son château. Il se réveilla, tourmenté, s'assit sur sa couche et vit près de lui un tout petit bonhomme, debout dans un lourd manteau gris dont le tissu semblait fait de nuages et de vent.

« Je suis le Nebelmännlein et je viens pour te chercher. La cloche que tu entends et celle du mariage de ta dame qui te croit trépassé. Je peux t’emmener dans mon vêtement de brouillard, tu y seras à temps pour reprendre ta place. Viens. »

Il logea le chevalier contre lui, au creux de son habit moelleux, opaque et mouillé qui s’envola dans les airs, tout comme le ferait un tapis enchanté. Notre croisé eut juste le temps d'apprendre que le petit homme était une âme condamnée à errer sous forme d'un brouillard dense et gris que seul peut dissiper le bourdon d'une cloche. Le chevalier promit que les cloches de sa chapelle carillonneraient désormais chaque fois qu'une brume, même insignifiante, nimberait le paysage.

Ils entrèrent dans la chapelle dans un grand courant d'air qui souffla les flammes vives des beaux cierges tout blancs. La suite n’est pas difficile à supposer. La dame défailla encore, mais de trop grande joie. Plus tard elle s’excusa auprès du soupirant, qui ne pouvait pas dire grand-chose devant cette curieuse situation. Il s'éclipsa, discret, avec toute sa famille et nos deux amoureux reprirent leur union là où elle s'était arrêtée.

Il avait rendu le chavalier à sa belle, alors le petit bonhomme disparut, exactement comme se dissipe un léger brouillard. Cependant, dans ce château heureux, on n’oublia jamais de faire sonner la cloche à chaque brume, même la plus légère, pour tâcher de rendre à cet esprit des brouillards, ce Nebelmännlein, le bien qu'il avait fait.

Mais où était-il donc passé ? Eh bien, je m’en vais vous le dire, même si c’est un secret… il avait filé chez dame Holle, là-bas, dans l'autre monde. Cette bonne vieille fée, qui secoue son édredon de plumes, pour qu'il neige sur la terre.

Vous me donnez l'impression de ne pas la connaître ? Je ne saurais vous laisser croupir dans une ignorance aussi grave !

Voici donc quelques explications…

que vous aurez demain ;-) hé hé

in CONTES ET LÉGENDES D'ALSACE - Patricia Gaillard -  éditions De Borée - 2010

 

 

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Conte du 12 Décembre - Calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

LE FOURNEAU DE MA VIEILLE MARIA

Ma vieille voisine, presque centenaire, avait comme on dit « la tête entière ». Elle habitait à quelques pas de chez moi, une petite maison simple au bord d’un chemin qui grimpe sec. Sa porte vitrée, protégée la nuit d’un épais volet comme une lourde paupière de bois peint et le jour faisant office de fenêtre de plus, pour aider à l’éclairage le fenêtron serti dans l’épaisseur du mur de pierres blondes, donnait sans détour dans la cuisine, dans ce lieu chaud et odorant où se déroulait depuis des siècles la vie de chaque jour . Quand j’arrivais chez elle il faisait toujours trop chaud. Mais c’était son trop chaud à elle. Pour ses jambes devenues immobiles, pour la rivière de son sang devenue lente, pour les douleurs, les raideurs… c’était le trop chaud de son vieux fourneau. Les vieux, quand ils commencent  à prendre doucement le chemin de repartir, ils sont frileux comme le sont les tout-petits, les tout-tremblants. Les vieux sont frileux comme pour dire « il faut que je m’en retourne… ».

Je mettais pour aller la voir l’hiver, plusieurs épaisseurs pour le dehors et trois fois rien en dessous pour chez elle. Elle me regardait me défaire en souriant. Et je sentais que d’avoir la moitié de son âge j’étais malgré tout une enfant…

Un jour, un matin de gel serré et de soleil blanc, elle m’accueillit en disant, fière :

«  Mes enfants m’ont installé le chauffage central ! »

 Je n’ai pas eu à fouiller derrière ce sourire, derrière ce regard, car dans ses prunelles sombres et luisantes comme des marrons neufs, une lueur petite mais si vive avait disparu.

Nous avons bavardé près du fourneau éteint. Eteint un jour de gel serré et de soleil blanc. Eteint et froid comme peut l’être un mort. Ce jour-là, je m’en suis retournée, songeuse…

Quelques jours plus tard je lui rendis visite. Elle avait retrouvé son air espiègle et déterminé et dans le brun de son œil, la lueur était revenue. Derrière elle, ronflait son fourneau. Ça sentait l’écorce fumante, on entendait des craquements joyeux et la flamme léchait si haut qu’elle sortait comme un follet par le trou du couvercle rond et gris et il faisait dans cette cuisine une chaleur de forge !

« Je refuse de me passer de mon fourneau! »  me dit-elle. Elle était admirable et belle.

Et sur le ruban de cette intuition rose qui circule de cœur de femme à cœur de femme avec son mystère de velours, en un court instant j’ai senti ses méditations des jours derniers et je l’imaginais assise et silencieuse, toute rentrée dans sa mémoire qui disait : «  depuis toujours le feu était là, le premier geste du jour, avant le lait du dernier-né presque éveillé, avant le café fumant, avant les bêtes de l’étable tiède, avant que ne se lèvent ceux que retenait encore un instant la couvaison délicieuse de l’édredon de plume. Le feu, avant tout, le feu. Le gilet de laine rude, les quelques marches de pierre lissée par les sabots, la grange, la panière vaste, le fagotin de brindilles, les bûchettes rondes et fines, et puis les bûches fendues qui éclataient sous la hache en grosses échardes blanches, le tisonnier, la cendre tiède de la nuit qui tombait et cédait la place, l’allumette et sa flamme miraculeusement contagieuse et soudain le crépitement, l’odeur, la tiédeur puis la chaleur, la vie qui reprenait…Le feu, avant tout le feu. Et tous ces fumets autour du fourneau : celui des luisantes châtaignes qui grinçaient dans leur poêle à trous, ceux de la marmite noire ronronnante posée sur le coin au fond à droite, là où la plaque est moins brûlante. Navets fondants, daube lente, soupe du potager, compote de ces petites pommes des moissons qui tombent si vite et qui sentent si bon au-dessus du bouillonnement épais, sucré et rose de la casserole.

Toutes ces odeurs encore là, toujours là, éternellement là dans les mémoires et dans la pierre des murs…

Allait-elle accepter autour du coffre à bois, l’absence de ces miettes d’écorce et de mousse éparpillées qui s’échappaient immanquablement de la bûche empoignée ? Allait-elle accepter sur le carron rouge du sol l’absence des débordements poussiéreux de la cendre grise et légère ? Elle a dit non.

Elle a sauvé sans le savoir la belle lueur vive.

J’étais fière d’elle. De sa force fidèle.

Maria est morte quelques mois plus tard, à cette heure de la nuit où s’éteint doucement la dernière rougeur de la dernière braise. Elles se sont endormies toutes les deux de la même manière, au même instant. Quand je pense à Maria, je la vois monter un chemin, légère comme une plume avec sa tête entière, sa lueur vive dans l’œil, emportant sous son bras son feu avec toute sa vie de femme dedans comme une prière chaude…

 

in Contes et Légendes du Jura - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2007

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Conte du 19 Décembre - calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

hou hou !! Un petit tour en Alsace et me voici...
vous rattraperez ce retard, en découvrant deux jours à la fois...
Promis, j'le f'rai plus...

Photo de mon pare-brise givré

FRAU HOLLE

Ce conte nous parle d’une femme qui était veuve et qui avait deux filles. La première était née un jour de grand soleil. L’astre brillait tant dans ses cheveux déjà longs, qu’on l’avait appelée Marie en or. La seconde était née une nuit de lune, autour d'elle tout était obscur et froid, ses cheveux déjà abondants étaient sombres comme la nuit, on l’avait appelée Marie la noire…

La mère chargeait l’aînée de tous les travaux et gâtait la plus jeune. On fait mal ainsi parfois, le partage de l’amour. Ainsi chaque jour, dès l’aurore, Marie en or devait éplucher, cuisiner, ranger, nettoyer, laver, frotter, repasser, raccommoder, tisser, filer !
Filer… ? C’était bien encore ce qu’elle préférait. C’était calme, lent comme la vie qui s’écoule. Les doigts seuls étaient occupés, l’esprit pouvait s’en aller tranquille et ce rythme réveillait des chansons, des histoires…

Mais le lin rêche déchire les doigts. Pauvre Marie en or, ton sang a sali la quenouille !
Marie en or s’arrête, s’affole, que faire, la mère parfois est si acariâtre ! Alors elle court au puits, pose la quenouille sur la margelle, fait descendre le seau. Elle va laver ce sang, l’eau est bien froide, c’est facile.

Mais pendant que le seau monte, la quenouille s’agite. Qui la pousse ? Est-ce ce vent étrange ? La quenouille tombe dans le puits. Dans cette maison, une quenouille perdue vaut encore plus de coups qu’une quenouille salie. Marie en or se penche. Elle voit le disque sombre de l’eau noire, au fond, c’est terrifiant, mais sa vie l’est aussi. Marie en or saute dans le puits. Elle tombe sur l’eau, elle traverse l’eau, elle va sûrement mourir. Non, car au fond de cette eau, il n’y a pas d’eau, mais de l’herbe douce, de la lumière jaune, une porte ronde. Marie en or la pousse et se retrouve dans l’autre monde. Un monde tout fait de mousses et de lierres, éclatants de rosée, scintillants d’étoiles et peuplés d’oiseaux au plumage de miel.

Quelques cris plaintifs et pathétiques coupent le silence serein. Marie en or se précipite et découvre un pommier qui supplie qu’on lui cueille ses pommes. Elle   le débarrasse de tous ses fruits. Ils sont ronds, mûrs, rouges et luisants. Elle en fait un tas. Plus loin un four supplie qu’on le débarrasse de ses pains. Marie en or ouvre la lourde porte, et d’une longue pelle plate posée là, elle sort toutes les miches rondes, croustillantes et dorées. Mais elle entend des plaintes, plus terribles encore. Dans une clairière ronde, une source supplie qu’on la nettoie. Marie en or la débarrasse de toutes les saletés. Les plaintes à présent se sont tues et dans le vent on entend un long murmure…
« Nous n’oublierons jamais Marie, nous n’oublierons jamais… »
Mais c’est la nuit, Marie en or s’endort …

Au matin elle se trouve devant une curieuse demeure. Une vieille, penchée à une fenêtre, secoue un gros édredon de plume et il neige sur la terre. C’est Frau Holle. Vieille fée laide, au long nez tordu, si chaleureuse.

«Entre, ma fille, entre donc. Tu peux rester ici, en échange d’un peu de travail. »
Chez Dame Holle tout est rond, blanc, léger, moelleux, mousseux et doux comme de la neige. Frau Holle dit à Marie en or qu’elle aura deux travaux à effectuer ici chaque jour.
« Tout d’abord tu entreras dans ma chambre, tu y verras un lit tiré de draps blancs, de dentelles mousseuses, et un gros édredon de plumes. Empoigne-le et secoue-le sur mon balcon, car il faut qu’il neige sur la terre. Tu m’entends bien, Marie en or, il faut qu’il neige sur la terre. Ensuite tu descendras dans ma cave, par un escalier étroit, humide - tu feras attention de ne pas glisser – et tu trouveras là tout un peuple de petites bêtes de l’ombre et de l’humidité. Tu les caresseras du bout des doigts, avec douceur, et tu les nourriras, car il faut qu’elles soient nourries. Tu m’entends bien, Marie en or, il faut qu’elles soient nourries, chaque jour.»

Chaque jour la fille se rend dans la chambre de Frau Holle. Il y a là un lit immense, garni de draps et d’oreillers de dentelles blanches et mousseuses et d’un gros édredon de plumes. Marie en or secoue l’édredon de Frau Holle. C’est amusant. Comme elle est loin de tous ces travaux épuisants qu’elle faisait dans notre monde.

Ici Marie en or est bien soignée, bien logée, bien aimée. Mais sommes-nous faits pour rester dans l’autre monde ? Marie en or sait qu’elle doit quitter Frau Holle. Alors un soir, elles prennent ensemble une dernière tisane, de mélisse et de verveine, dans des tasses de porcelaine blanche où les cristaux du sucre candi semblent des pierres précieuses. Frau Holle veut faire un présent à Marie en or. Elles descendent toutes les deux dans la cave et rejoignent le peuple de bêtes de l’ombre et de l’humidité que Frau Holle caresse du bout des doigts, avec douceur. Ces bêtes étranges semblent être les gardiennes de tout un empilement de très petites boîtes, toutes identiques. Frau Holle en choisit une :
« Prends ça, Marie, mais fais bien attention, car un royaume entier est contenu dedans. »
Un royaume entier dans une boîte ! Décidément, Frau Holle n’est pas une personne ordinaire ! Et la fille range la boîte prodigieuse dans la poche de sa ceinture.

Marie en or s’en va au petit matin. Elle emporte la quenouille propre qui a été déposée mystérieusement sur son lit. Frau Holle sommeille encore sous son édredon douillet. Le chemin vers la porte du puits paraît, ce matin-là, curieusement long. Marie en or a soif, elle a faim. Elle trouve un gobelet d’argent sur la pierre de la source et y boit l’eau si pure, puis elle se régale d’une pomme tendue par le pommier et d’un pain parfumé cuit au four. Et tout en grignotant, elle arrive sans détours à la porte ronde. Marie s’y engouffre et remonte, dans notre monde.

Quel étonnement à la maison. On pensait Marie en or perdue, partie, morte, peut-être. On a presque plaisir à la revoir ! La mère voit soudain la boîte, dans la poche de la ceinture. « Tiens, c’est quoi, cette boîte, un cadeau ? Montre-nous ! » Marie en or soulève le couvercle de la boîte. Il en sort des chevaux, des vaches, des cochons, des châteaux, des arbres, des fruits, des étoiles, des vents, des livres, des maisons, des chemins, des saisons, des jardins, des pluies. Et tout ça c’est petit, petit, mais ça grandit, grandit, de quoi garnir tout un royaume ! C’était donc vrai !

La mère devient tout miel…
« Ma petite Marie en or, où étais-tu donc pendant tout ce temps ?
- Chez Frau Holle
- Chez Frau Holle ? Comment est-ce possible ? Où cela ? …
- Tout au fond du puits. Sous l’eau, il n’y a pas d’eau, mais de l’herbe douce, une lumière jaune, une porte ronde, qui mène à l’autre monde.
- Marie la noire, tu as bien entendu le récit de ta sœur ? Tu vas immédiatement faire la même chose, pour rapporter une boîte toi aussi. Dépêche-toi ! » Le ton est plus que sec.

Marie la noire, la préférée, n’a pas du tout envie d’y aller. Mais elle a tout de même peur de sa mère et elle s’en va se jeter dans le puits. Tombée sur l’eau elle descend, descend, tout est noir, elle va sûrement mourir… Pourtant au fond de cette eau, il n’y a pas d’eau, mais de l’herbe très douce et une lueur jaune qui éclaire une porte ronde. Marie la noire la pousse et entre dans l’autre monde. Un monde tout fait de mousses et de lierres, éclatants de rosée, scintillants d’étoiles et peuplés d’oiseaux au plumage de miel. Quelques cris plaintifs coupent le silence serein. Un pommier supplie qu’on lui cueille ses pommes. « Tes pommes ne m’intéressent pas, je cherche une boîte ! » Un four supplie qu’on sorte ses pains. « Tes pains ne m’intéressent pas, je cherche une boîte ! » Une source supplie qu’on la nettoie. « Ton eau ne m’intéresse pas, je cherche une boîte ! »
Dans le vent s’élève une lente plainte sourde :
« nous n’oublierons jamais, Marie, nous n’oublierons jamais »
Mais voilà la nuit, la lune, Marie la noire s’endort…

Au matin elle se trouve devant une curieuse demeure. Une vieille, rondelette, espiègle, penchée à une fenêtre, secoue un gros édredon de plumes et il neige sur la terre. C’est Frau Holle.
« Entre, ma fille, entre donc. Tu peux rester ici, en échange d’un peu de travail. Chaque jour tu entreras dans ma chambre, tu y verras un lit tiré de draps blancs, de dentelles mousseuses et un gros édredon de plumes. Empoigne-le et secoue-le sur mon balcon, car il faut qu’il neige sur la terre. Tu m’entends bien, Marie la noire, il faut qu’il neige sur la terre. Ensuite tu descendras dans ma cave, l’escalier est étroit et humide - tu feras attention de ne pas glisser – tu verras là tout un peuple de petites bêtes de l’ombre et de l’humidité. Tu les caresseras du bout des doigts, avec douceur, et tu les nourriras, car il faut qu’elles soient nourries. Tu m’entends bien, Marie la noire, il faut qu’elles soient nourries. »

« C’est quoi ce travail idiot de vieille folle ? Je suis sûrement venue faire son ménage ! » Se dit la fille, exaspérée. Alors elle fait semblant, pour tromper Frau Holle. Mais il ne neige plus sur la terre. Frau Holle le sait. Elle ne dit rien. Frau Holle ne dit jamais rien.

Puis très vite Marie la noire veut repartir. Elle pense que ce monde est un tissu de bêtises, d’illusions, de naïvetés. La vieille fée, bien sûr, veut faire un présent à Marie la noire. Elles descendent toutes les deux dans la cave. Là il y a tout le peuple de bêtes de l’ombre et de l’humidité que Frau Holle caresse du bout des doigts, avec douceur et qui semblent garder les petites boîtes, toutes semblables et si gracieusement empilées. Frau Holle en prends une :
- « Tiens, Marie la noire, mais surtout fais bien attention, car tout un royaume est contenu dedans ! »
- Je sais, je sais, dit Marie la noire. »
Elle s’en va maintenant, elle s’en va tout de suite. Il fait nuit, il fait noir ? Oh, ce n’est pas grave, Marie la noire a l’habitude, il y a toujours un coin de lune pour faire une lampe.

Ce soir il n’y a pas de lune et il fait si terriblement chaud ! Marie a soif, mais la source se retire chaque fois qu’elle s’approche. Elle a faim, mais le four se referme sur ses pains et le pommier se replie sur ses fruits. Et ce chemin qui est si long ! Elle se tord les chevilles aux ornières, se blesse aux ronces crochues, elle n’en peut plus quand elle arrive enfin à la porte. Marie la noire s’y engouffre et remonte dans notre monde.

La mère est ravie, elle rit et s’empare de la boîte.
« La même boîte, exactement la même ! Tu peux garder la tienne, Marie en or, Marie la noire a la même ! » Et tout en sifflant ces paroles, elle soulève le couvercle. De la cassette jaillissent alors des couleuvres, des vipères, des lombrics, des puces, des virus, des teignes, des poux, des microbes, de quoi remplir tout un royaume, car il faut de tout pour faire un monde ! Et tout ça c’est petit, petit, et ça grandit, grandit ! La mère très vite referme le couvercle. « ça suffit ! Des coups, Marie en or, tu vas avoir des coups, tu vas nous payer ça ! »

Cette fois-ci Marie en or s’enfuit jusqu’au bois, son coffret sous le bras. Elle ne reviendra plus. Elle vit dans ce bois des semaines, des mois, des années peut-être. Elle entend le langage des bêtes et des plantes, comme elle avait entendu celui du pommier et de la source. Elle tient sa boîte contre elle, logée dans une ceinture, parfois elle soulève le couvercle. Elle ne manque de rien. Elle est cependant seule, si seule.

Un jour elle rencontre un chasseur. Il lui trouve l’air si doux qu’il veut la garder près de lui. « Cette boîte à ta ceinture, c’est un trésor ?
C’est tout ce que j’ai, mon bon seigneur, j’ai perdu tout le reste. »

Eh bien, ils ont fini par s’épouser. Il a bon goût cet homme, et du flair, car dans les yeux voilà de quoi parler d’amour et dans la boîte, voilà de quoi peupler autour. Un vrai et beau royaume ! Il n’y avait pas de bébés dans cette boîte, mais je crois qu’ils ont su les faire tout seuls.

Étrangement, il y avait très peu de vipères, de lombrics, de poux, dans ce royaume, car l’autre boîte était maintenue fermée et on dit qu’elle l’est encore. Marie la noire et sa mère sont assises dessus - pour l’instant – mais attention, elles vont bien finir par se lasser !

Rentrez chez vous bien vite et s’il neige, vous saurez que je n’ai pas menti !

in CONTES ET LÉGENDES D'ALSACE - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2010

 

 

 

 

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