Conte du 18 Décembre - Calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

Le bonhomme brouillard

Au château d’Herrlisheim, la belle dame priait pour son époux, qui était son chevalier et qu'elle aimait de tendre amour. La croisade l’avait avalé et emporté dans un Orient étrange, où son âme si brave et son épée redoutable avaient Dieu à servir. Il lui avait promis mille merveilles rapportées de là-bas, qui feraient peut-être oublier cette séparation, mais elle était si inquiète qu’elle ne cessait de monter au créneau, pour regarder le chemin qui grimpait au château. Parfois une légère poussière et un galop lointain, faisaient battre son cœur. Mais c'était autant de larmes qu'à chaque fois elle versait, car jamais ces signes n’étaient ceux de son grand chevalier. Ses nuits étaient traversées de rêves de batailles et elle voyait son corps chéri tout transpercé de flèches et de pointes, la cotte visqueuse d’un sang dont le rouge vibrant la réveillait en sursaut et la tenait épouvantée et malheureuse des heures entières, les yeux grands ouverts dans le noir.

Elle ne le vit jamais revenir. Un jour un galop approcha, dans une belle poussière, elle crut reconnaître le cheval noir de son aimé, courut autant qu'elle put ! C'était un messager qui venait annoncer ce qu'elle craignait le plus. La vérité la fendit comme une dague, elle perdit connaissance.

Longtemps, bien longtemps, ses jours furent des jours de veuve. Des heures solitaires, noires, nostalgiques, maladives et cruelles. Mais il n'y a rien qui ne résiste au temps, même les roches les plus dures. Peu à peu elle ne cessa de pleurer, puis se reprit à rire, acceptait même une fête, un banquet, une ducasse, de temps en temps... Encore jeune et fort jolie, elle inspira bien sûr des soupirants nombreux. Elle les refusa tous. Elle se voulait fidèle à cet amant perdu tout au bout de la mer.

Il en vint un, cependant, qui lui ressemblait tant, à ce chevalier mort, qu'elle se sentit prête à le garder près d'elle. C'était si doux soudain de plonger son regard dans un regard et de rêver une vie nouvelle. Elle lui céda. On prépara les noces...

Mais en terre que l'on dit sainte, son époux se remettait lentement d'atroces blessures qui l’avaient maintenu longtemps dans cet endroit, très singulier, qui n'est ni la vie ni la mort. Un soir, à la tombée du jour, alors qu'il sommeillait dans une tente, il entendit très nettement sonner les cloches de la chapelle de son château. Il se réveilla, tourmenté, s'assit sur sa couche et vit près de lui un tout petit bonhomme, debout dans un lourd manteau gris dont le tissu semblait fait de nuages et de vent.

« Je suis le Nebelmännlein et je viens pour te chercher. La cloche que tu entends et celle du mariage de ta dame qui te croit trépassé. Je peux t’emmener dans mon vêtement de brouillard, tu y seras à temps pour reprendre ta place. Viens. »

Il logea le chevalier contre lui, au creux de son habit moelleux, opaque et mouillé qui s’envola dans les airs, tout comme le ferait un tapis enchanté. Notre croisé eut juste le temps d'apprendre que le petit homme était une âme condamnée à errer sous forme d'un brouillard dense et gris que seul peut dissiper le bourdon d'une cloche. Le chevalier promit que les cloches de sa chapelle carillonneraient désormais chaque fois qu'une brume, même insignifiante, nimberait le paysage.

Ils entrèrent dans la chapelle dans un grand courant d'air qui souffla les flammes vives des beaux cierges tout blancs. La suite n’est pas difficile à supposer. La dame défailla encore, mais de trop grande joie. Plus tard elle s’excusa auprès du soupirant, qui ne pouvait pas dire grand-chose devant cette curieuse situation. Il s'éclipsa, discret, avec toute sa famille et nos deux amoureux reprirent leur union là où elle s'était arrêtée.

Il avait rendu le chavalier à sa belle, alors le petit bonhomme disparut, exactement comme se dissipe un léger brouillard. Cependant, dans ce château heureux, on n’oublia jamais de faire sonner la cloche à chaque brume, même la plus légère, pour tâcher de rendre à cet esprit des brouillards, ce Nebelmännlein, le bien qu'il avait fait.

Mais où était-il donc passé ? Eh bien, je m’en vais vous le dire, même si c’est un secret… il avait filé chez dame Holle, là-bas, dans l'autre monde. Cette bonne vieille fée, qui secoue son édredon de plumes, pour qu'il neige sur la terre.

Vous me donnez l'impression de ne pas la connaître ? Je ne saurais vous laisser croupir dans une ignorance aussi grave !

Voici donc quelques explications…

que vous aurez demain ;-) hé hé

in CONTES ET LÉGENDES D'ALSACE - Patricia Gaillard -  éditions De Borée - 2010

 

 

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