Conte du 22 Décembre - calendrier de l'avent des contes
LE SOULIER DU CURE DE CRANCOT
Au village de Crançot, où déjà on avait la fontaine de Conge, qui guérissait disait-on les maladies des yeux, on avait aussi un fameux curé. Il avait, avec les intempéries, de fraternelles conversations qui leur faisaient faire demi-tour, quand elles arrivaient mal à propos pour la terre ou pour les grains. Les paroissiens avaient fini par trouver très normal de voir s’en retourner les grands nuages noirs ou jaune sombre, qui menaçaient de lâcher là leurs grêles ou leurs pluies lourdes, ces choses violentes qui parfois tombent très mal.
Un jour qu’il était occupé à se vêtir pour dire sa messe, tout un groupe de villageois frappa à la porte de la sacristie. Leur curé les reçut. On lui parla d’un orage terrible qui venait à grand pas, et d’un nuage énorme, gris foncé avec un cœur jaune, signe de grêle, qui s’était quasiment planté sur le clocher.
Notre bonhomme sortit en courant, l’étole flottant derrière lui comme un long fanion blanc et arrivé sur le parvis, il se déchaussa d’un soulier, l’empoigna et le lança au ciel, en poussant quelques mots d’un ton autoritaire… le nuage, sermonné, quitta sa place en s’élevant comme une montgolfière et le ciel nettoyé, lissa son bleu de mer. Certains restèrent le nez en l’air un grand moment. Mais jamais on ne vit revenir la godasse magique… !
Ce jour-là la messe fut dite les pieds nus, qu’importe, elle fut dite.
Les éléments peut-être, aimeraient nous voir moins d’impuissance devant leurs menaces et leurs secrets ? Ne sommes-nous pas devenus terriblement timides et incapables de convaincre une petite pluie de tomber, ou de passer son chemin ?
C’est, bien sûr, une théorie de conteuse !
Cependant, … ce n’est pas parce que c’est impossible que nous n’y croyons pas, c’est parce que nous n’y croyons pas, que c’est impossible.
Je vous sens soudain rêveur.
Puisque nous parlons de chaussures… Savez-vous que les bergers russes, allaient sans chaussures à la première sortie de leurs troupeaux ? Ils disait qu’ils éloignaient ainsi les loups et les ours pour l’année.
Devinette : Sa taille est celle d’un lapin. Sa charge est celle d’un âne. La chaussure, bien sûr !
Et en écosse, si une paire de chaussures, même neuves, se trouvent sur une table, elle annonce de gros soucis d’argent.
En Italie, des chaussures qui grincent disent : « celui qui nous porte, ne nous a pas encore payées ! »
Les chaussures magiques courent le monde. Ainsi celles de l’ogre, qui sont des bottes immenses, qui font sept lieues à chaque pas et qui de plus vont très bien à tous les pieds qui s’y enfoncent, même ceux, si petits, du petit Poucet. Et ce soulier de fée que le prince a trouvé, que la jeune fille a perdu et qui de tous les pieds du monde ne reçoit que le sien ! Et puis il y a ce soulier de Crançot, qui peut-être, depuis ce lointain dimanche-là, court après les nuages et ne s’arrêtera que lorsque
le monde aura fini de tourner,
et nous de marcher
et de raconter
des histoires.
in CONTES ET LÉGENDES DU JURA - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2007