Les trois rois sont en route
Et nous voici au 29 Décembre. On pourrait penser que, cette fois, les forces ténébreuses sont calmées et que tout est bien qui finit bien. Loin de là ! Nous entrons à présent dans la période des douze jours d’effroi. Les esprits noirs sont déchaînés, ils vont tout tenter pour combattre cette lumière et ce n’est pas ce petit, couché sur la paille et encore si vulnérable, qui va les intimider ! Ces douze nuits sont souvent venteuses. Nous avons pu le constater !
Durant ces jours-là Frau Berchta, cette vieille fée sauvage autrefois traversait le ciel, suivie de la troupe innocente des enfants mort à leur naissance, qui n’avaient donc pas eu de baptême et à qui la religion refusait une âme. J’ai entendu dire que dans la troupe de ces petits, endormis douillettement dans les plis laiteux et accueillants de la cape de brouillard bordée d’étoiles de Frau Berchta, se glissaient silencieusement les âmes perdues des suicidés, des assassins et des mendiants qu’aucune bénédiction ne sauvera jamais et que nulle famille ne réclame. Elle n’était pas avare de place en son manteau, cette bonne fée, et elle les emmenait tous au paradis, mais directement, sans aucun de ces juges intermédiaires trop humains ! Les mères éplorées avaient au moins cette consolation.
Et c’est durant ces douze jours que nos trois rois marchent sans relâche pour participer, eux aussi, à sauver la lumière. On dit qu’en volant dans les airs ils auraient lâché malencontreusement sur un moulin une cassette d’or qui fit la belle fortune de son meunier, lequel vendit tous ses biens et s’en alla quelque part dans le monde jouir de sa tranquille opulence. Le nouveau propriétaire de ce moulin, qui avait, bien sûr, entendu cette étonnante histoire, paressait tout le jour, couché sur les sacs vides, son bonnet blanc pointu enfoncé jusqu’au nez. Il attendait, clamait-il en riant, que la fortune lui tombe du ciel ! Oui, mais il attendit longtemps, de décembre en décembre, des années durant... Il finit par être pauvre comme une souris d’église. Pris de folie, il tira alors un coup de fusil sur les trois rois volants. Mais l’arme sauta de ses mains et c’est lui qui périt. Personne ne vint le voir, ni le chercher, ni le veiller avec des prières, ni même l’enterrer. Les braves gens ne se mêlent pas de ces histoires maudites, ils laissent les ténébreux rejoindre les ténèbres, quand ils en font le choix. Et l’homme devint maudit, comme le moulin, d’ailleurs... Ils tombèrent ensemble en ruine, doucement. Ils y sont encore pris, jusqu’à la fin des temps...
Et c’est durant ces douze jours que nos trois rois, extirpés de leur tombeau, marchent sans relâche pour participer, eux aussi, à sauver la lumière.
Nous les rejoindrons dans quelques jours, pour la fin de cet Avent dans le sillage duquel je vous ai invités. À tout bientôt donc...
Restez au coin des âtres, les vents sont fous et tourmenteurs
la gaillarde conteuse