Les Histoires du Lundi 5
MAHAUT D’ARTOIS EN ARBOIS
Mahaut venait souvent dans ce château perché sur ces paysages sauvages qu’elle aimait. Elle y demeurait parfois longtemps enfermée, ne se montrant pas même aux ouvertures et se tenait secrètement près de ses cheminées. Une bibliothèque était le joyau de ce château. Dans ce temps si lointain il y en avait si peu. La sienne était précieuse. Dans une chambrette lambrissée, bien sèche et confortable, les manuscrits étaient rangés soigneusement dans des coffres, pour protéger leur beauté unique et fragile. Un de ses préférés était un roman courtois « Les voeux du Paon » de Jacques de Longuyon, ainsi qu’un récit des voyages de Marco Polo et une Bible magnifiquement enluminée, achetée à prix d’or.
L’or, bien sûr, ne manquait pas. Pas à elle.
Près du château était un hospice qui recevait des perdus, des malades, des miséreux. En ce temps-là les brasiers que contenaient les âtres et les fours mettaient très souvent le feu aux boiseries et à la paille dont on garnissait les sols et le feu gagnait si vite qu’on a vu bien des êtres y mourir.
Cet hospice-là un jour, se fit dévorer par un incendie brutal. Tous ceux qui s’y trouvaient succombèrent après d’affreuses contorsions et des hurlements atroces. On dit que Mahaut assista à ce spectacle insoutenable du haut d’une fenêtre où elle se tenait immobile et très droite. Elle ne fit jamais rien pour envoyer de l’aide aux proies hurlantes qui s’effondraient, effroyables flambeaux ardents.
De retour près de l’âtre où le feu bien tenu ne menaçait en rien son repos tranquille, elle s’assit devant le pupitre où elle avait laissé ouvert le manuscrit qu’elle lisait. Elle s’y pencha, sérieuse, quand elle vit une traînée de voile blanc et poudré dans un recoin obscur. Une dame blanche se tenait là. À son allure Mahaut, impressionnée, reconnut tout de suite une dame surnaturelle, de celles qui courent sur les lacs et dans les bois, aux heures de la nuit. Elles sont nombreuses dans ce Jura sauvage et beau où les brumes opalines que tissent les aubes favorisent au matin leur retour vaporeux vers ces mondes d’ailleurs qui nous sont cachés.
Sans donner à Mahaut un instant pour parler, elle lui prédit un long corps de serpent… « Tu hanteras les lieux ruinés, les cabornes humides, les souterrains mystérieux, les eaux originelles. Tu y puiseras la force de la terre et des pierres. Le jour sera trop clair à ton œil pénétrant, la nuit et sa moiteur recevront tes errances, tu garderas admirablement l’or du monde, enfoui pour l’éternité. Tu seras lumineuse, terrifiante, ailée quand il faudra et ton œil merveilleux sera souvent guetté par l’avidité des hommes… »
La Dame fit un simple geste d’une main et Mahaut devint Vouivre.
La Vouivre est donc parfois une dame condamnée à l’errance sans fin
Patricia Gaillard - Contes et Légendes du Jura - éditions De Borée - 2007