Les Histoires du Lundi 9

Publié le par Patricia Gaillard

 

Image Darkmoon_Art - Pixabay


Vers la mi-nuit, nous irons, voulez-vous, nous promener sur la place de Chaussin. Très discrètement… ah, si nous pouvions, ne serait-ce qu’un instant, même très court, voir cette dernière Dame blanche que plusieurs ont aperçue, il y a plus de trente ans, dernière Fée (visible) de notre vieille Comté qui en a tant comptées. C’est qu’il en faut de la force de Fée pour oser apparaître dans ce monde qui veut tout expliquer et qui a rangé les mystères, par erreur, au fond des vieux tiroirs de greniers, dans le fourbi des dentelles, des parfums de violette, des photos jaunies et des lettres d’amour. 

Sans la voir peut-être la devinerons-nous cette Fée renaissante, sur le chemin des Fées, cette antique voie romaine, à Asnans Beauvoisin.

 

L’ESPRIT DE L’ABÎME

Ici jadis,  les sires de Longwy étaient de ces orpailleurs qui recueillaient dans des peaux de mouton les escarbilles d’or des eaux du Doubs. Leurs grands et bien beaux manoirs étaient rangés tout le long de la précieuse rivière. Une femme de leur lignée qui se nommait Hélène, s’y baignait un jour. Elle était jeune et l’on imagine sans peine son corps pâle aux courbes rosées où l’eau ruisselait avec d’infimes éclairs d’or, sous le soleil filtré par les feuilles des aulnes. L’Esprit de l’abîme, un de ces invisibles dont on soupçonne l’étrange existence sans jamais avoir pu l’observer, aspira la belle Hélène dans son gouffre perdu du fond des eaux. Depuis elle est à lui, en compagne invisible et éternelle dont on ne sait plus rien, sinon qu’à tous les descendants de sa famille elle rend à l’heure dernière une visite tendre. Ces jours-là elle quitte le gouffre où elle demeure, on entend monter  lentement des eaux profondes une plainte d’une tristesse saisissante jusqu’au dessus de l’onde, qui remplit tout de sa désolation, les arbres, les oiseaux et toute vie terrestre. Jamais on ne la voit, la voix seule est présente. Hélène l’impalpable, l’immortelle, pose ses lèvres froides sur les lèvres blanches du mourant, accompagnant le souffle qui tombe dans la mort. La plainte alors s’arrête et le silence revit.

 

Si les Longwy sont vos aïeux, elle honorera votre soupir ultime

De son très froid baiser d’ondine.

 

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;

Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,

Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile.

Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

Arthur Rimbaud - Ophélie 

 

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