LA SOURCE DE L’AGNEAU (1)
Allons, j'ai trop longtemps digressé, revenons aux contes, rien de mieux !
Clive Staples Lewis, romancier et poète anglais mort en 1963 écrivait
"Un jour vous serez assez vieux pour lire à nouveau les contes de fées"
Ayant appris récemment que je descendais d'une lignée de seigneurs et de chevaliers, je comprends mieux à présent mon irrésistible attirance pour les histoires de châteaux, d'épées, de trésors et de chevalerie. Je vais donc me laisser aller à quelques-uns de ces contes dont la musique berce mes très vieilles racines.
photo P.Gaillard
LA SOURCE DE L'AGNEAU (1)
Au temps du moyen-âge, un vieux seigneur, très bon, occupait le château de Froeningue. Son fils était parti en croisade et il était bien seul. Parmi les gens qu'il avait à son service, était une petite orpheline. Elle faisait au château un travail de bergère qu'elle aimait. Elle partait chaque jour, suivie de ses moutons. Des brins de foins pendaient de sa robe brune car elle avait sa couche à même la bergerie. Elle n'aurait pas voulu la troquer contre un de ces lits de paille du château où l'on dormait sous de chaudes et pesantes peaux d'ours, car elle avait pour s'endormir un fenestron ouvert sur le ciel étoilé et la chaleur douce du souffle de ses bêtes, ses fidèles compagnes. Dans les pâtures où elle menait son paisible troupeau, près d'un chêne trapu, était une source fraîche qui faisait aux trèfles roses voisins de fins colliers de perles scintillantes. On était au printemps d'une année déjà chaude. Au fond du pâturage une rivière étroite offrait, avec ses rives basses, un abreuvoir commode à ses moutons. Cependant un agneau de l'année, contrairement à tous ses semblables, semblait indépendant et il avait choisi la petite source pour se désaltérer. Il s'y rendait plusieurs fois par jour, penchant sa tête laineuse, blanche et douce. La fillette remarqua une chose singulière : il avait dépassé, en taille et en beauté, ses deux frères du même jour. Était-ce cette eau pure qui avait des vertus ?
L'animal très vite devint si magnifique que notre bergère un décida de l'imiter. Elle se mit à genoux et, penchée, puisa et but l'eau riche dans ses deux mains. Elle n'eut pas même le temps de se relever qu'un petit bouillonnement monta du fond de la source et une dame minuscule se montra, vêtue d'une robe légère comme un voile de mousse où pendaient des perlettes diamantines. Elle était coiffée d'une couronne de lierre mordoré.
La bergère se leva, effrayée et vive comme une chèvre, elle courait déjà... ah mais que la voix était douce ! Elle s'arrêta et ne songea plus du tout à s'enfuir. Elle revint lentement et se laissa bercer par le ton maternel de cette créature, si belle et si gracieuse, qui lui promettait le bonheur avec tant d'assurance qu'aucun doute ne pouvait assombrir cette merveilleuse conversation. Cependant le regard de cette espèce de fée devint plus grave quand elle dit à la bergère de ne jamais oublier le sort des miséreux. Ces mots pouvaient paraître un peu naïfs car comment cette fille pouvait-elle oublier ceux de sa propre condition ? Puis la fée disparut, comme aspirée par le bouillonnement qui l'avait révélée un instant plus tôt.
La bergère devint une belle jeune fille. Le fils du seigneur revint de sa croisade. Il s'éprit follement de cette jolie servante qui dépassait largement en noblesse toutes les héritières qui peuplaient le royaume. Le suzerain, son père, en homme bon et sensé, ne s'en offusqua pas. On célébra bientôt le mariage. Le soir même la bergère se penchait vers la source pour remercier la dame, apparue un beau jour de printemps et dont la prédiction s'était réalisée. Et la vie s'écoula comme cette fée l'avait dit, dans le bonheur. Le vieux seigneur mourut, heureux de voir ce fils comblé le remplacer en son château...
à bientôt pour la suite !
la gaillarde conteuse...