LA SOURCE DE L'AGNEAU (2)
photo P.Gaillard
LA SOURCE DE L'AGNEAU (2)
Peu de temps après, une nouvelle croisade appela le chevalier vers ce même Orient. Une partie de ses hommes s'en alla avec lui, l'autre resta pour seconder la belle, qui se retrouvait soudain seule à gérer leurs affaires, comme le faisaient de nombreuses épouses de seigneurs en ce temps-là. On les imagine parfois, à tort, soumises, fragiles et délicates, alors qu'elles étaient capables, et souvent fort bien, de diriger la seigneurie entière ! Et ce fut bien son cas.
Il était loin de temps du petit fenestron ouvert sur les étoiles et du joli troupeau broutant tout autour d'elle. Elle allait devoir se parer d'autorité véritable et de vraie vigilance.
Mais c'est là que l'histoire grince d'un coup, car dans ses fonctions neuves la dame se découvrir une nature dure qu'elle ne se connaissait pas. Elle l'appliqua à tous, régna en despote, se complaisant dans ce tempérament, sans la moindre pitié, même pour les miséreux. Tiens, tiens, la petite dame de la source l'avait-elle en quelque sorte prévenue ? Nous nous en souvenons, mais la belle châtelaine, elle, avait bien oublié la mise en garde, à tel point qu'avec sa main de fer, elle se fit des ennemis très nombreux, surtout parmi ses paysans qu'elle accablait de tout et qui n'en pouvaient plus.
Un jour, empoignant au hasard fourches, fléaux et bâtons, ils arrivèrent devant le pont-levis, formant une troupe dense et enragée. Aucun garde, jamais, n'accepta de lancer une flèche sur ces "manifestants." La châtelaine s'enfuit par un portillon de derrière que très peu connaissaient et qui était caché par les feuilles d'un noisetier bas tout encombré de lierre. Courant comme une folle, pendant que les ronciers agrippaient les tissus de ses robes, elle arriva à cette pâture d'autrefois, qui s'était presque effacée de sa mémoire. Tout était envahi de bosquets d'épineux qui rendaient l'endroit méconnaissable. Une cabane simple, qui avait du servir d'abri à un ermite, avait été bricolée entre la source et le chêne trapu. La châtelaine s'y engouffra et y resta des heures, prostrée, sans oser bouger, presque sans respirer, espérant échapper à cette foule haineuse. Nul ne s'aventura jusque là. Alors elle y resta. Mille fois elle se pencha vers la si belle source, appelant la petite dame sur tous les tons. Jamais le moindre bouillonnement ne troubla l'eau tranquille et jamais la fée ne se montra. Cette femme de seigneur mena pour quelques temps une vie pauvre et simple qui ne lui allait pas...
à bientôt pour la suite !
la gaillarde conteuse...