Le jardin du 6 Juillet

Le jardin du 6 Juillet
Ouvrant ma porte sur la pluie douce de ce matin, j’ai vu s’envoler, dans le pré voisin, un grand corbeau. Le plumage de cet animal me fait toujours penser à l’étoffe de taffetas noir d’un très vieux costume de théâtre.
Les bêtes ont parfois des attitudes surprenantes, même les bêtes sauvages qui pourtant ne nous sont pas volontiers familières. Un de mes voisins m’a raconté qu’un jour de sa jeunesse il avait trouvé un corbeau blessé. Son père l’avait pansé. Puis, pour le garder à l’œil, il l’avait mis avec les poules, puisqu’elles étaient un peu ses semblables. Elles l’avaient tout de suite accepté. Il mangeait avec elles, circulait comme elles faisaient, grattant le sol du pied, gobant lestement vers de terre et limaces. Il avait même fini par caqueter comme ses compagnes, peut-être pour être sûr d’être tout à fait adopté. Le père avait interdit que les enfants lui donnent un nom, il disait qu’il fallait lui laisser sa sauvagerie. Alors ils l’appelaient simplement “le corbeau.” Une fois guéri, l'oiseau s’en allait régulièrement, puis revenait, puis repartait, jusqu’au jour où il n’est plus revenu, rappelé par son instinct sauvage et libre. Mais, dans la forêt voisine certains jours on entendait le cri d’une poule, là-haut, dans les arbres. On savait alors que “le corbeau” était par là, et qu’il avait quand même conservé le souvenir de sa vie domestique. Ça faisait plaisir à la famille. Les enfants l’appelaient bien un peu, parfois, mais il n’est jamais revenu.
la gaillarde conteuse