Une poule aux oeuf d'or
Restons encore un peu avec les œufs, ce serait dommage de les quitter ainsi sans les glisser dans un conte. Celui-ci vous bercera pour une douce soirée, au coin d'un feu encore nécessaire bien sûr, mais quelles belles journées !
UNE POULE AUX ŒUFS D'OR
On dit que dans un temps jadis se trouvait un couvent à Riedisheim, dans le Haut-Rhin de mon Alsace natale. C’était un couvent de nonnes. On imagine le calme et la respectabilité sage du lieu. Il en était pourtant tout autrement. Une tentation vivante se trouvait dans ce monastère, qui n’était pas un homme, mais une poule. Une classique et jolie poulette, rousse avec des plumes rangées, la crête bien rouge et veloutée, une poule commune, vive et en très bonne santé, mais commune. Du moins en apparence, car cette innocente volaille donnait, quand elle pondait – ce qui n’était pas rare – des œufs en or. De très gros œufs en bel or véritable.
Dans un lieu où la pauvreté est un choix définitif, ça fait un peu désordre ; un trésor qui s’entasse ainsi de lui-même laisse rarement les cervelles au repos ! L’or sait faire, dans le plus grand silence, un ouvrage d’usure remarquable de ce que l’on nomme la vertu. Et la vie, dans ce lieu présumé austère, devenait de plus en plus frivole ; on y versait l’or à des plaisirs dont je ne saurais vous donner le détail mais que chacun de vous supposera, selon l’idée qu’il s’en fait.
Bref, ces jouissances, quelles qu’elles furent, étaient simplement incompatibles avec le choix que l’on faisait en pénétrant ici. Et ce couvent fantôme, dont il ne subsiste aucune trace palpable, se trouva englouti, aspiré dans les larges fissures mortelles d’un tremblement de terre que peut interpréter comme une punition du ciel celui qui voit le ciel ainsi.
Depuis cet engloutissement, cette légende nous visite une fois par an, et d’une bien drôle de manière...
La chapelle, qui serait un restant de ce monastère selon les uns, ou qui aurait été construite après selon les autres, tient ce jour-là sa porte nettement entrouverte. Des bruissements s’en échappent, on entend marcher, parler bas, on perçoit des craquètements bien distincts. Celui qui ose entrer peut prendre les œufs déposés sur la paille, à condition toutefois de réciter trois prières, et de résister corps et âme à quelques nonnes troublées et troublantes qui ne manqueront pas de danser autour du visiteur pour essayer de l’aguicher... Il n’est pas aisé d’y résister, même pour gagner cette poignée d’or si précieux !
Un paysan qui venait de Mulhouse fut surpris par un orage que rien n’avait annoncé. Aux premières gouttes, il passait justement près de la chapelle. C’était précisément le fameux jour, mais il n’en connaissait pas même l’existence. Il s’engouffra simplement dans le saint lieu pour y attendre un répit.
Il ne faisait pas encore nuit. Soudain, il vit une poule, ce qui l’étonna beaucoup dans cet endroit, bien entendu. Elle se mit à chanter. On dit bien : « C’est celle qui chante qui a fait l’œuf. » Et, de fait, elle chantait pour quelque chose puisqu’elle en avait fait trois ! Bien que notre homme eût une très bonne vue, il regarda deux fois afin d’être sûr d’avoir bien vu les œufs en or. Il tendit ses deux mains pour cueillir ce trésor mais, ne soupçonnant pas qu’il fallait des prières, il reçut une claque à lui dévisser la tête qui le jeta au sol. C’est alors que des mains indiscrètes et invisibles lui ôtèrent ses chaussures... Comprenant qu’il y avait ici des affaires louches et impalpables, il sortit en courant sans prendre le temps de rien emporter.
C’était quand même un gars pas du tout impressionnable, car le lendemain, intrigué par son étrange aventure de la veille, il retourna tout bonnement dans la chapelle. Il n’y avait aucun bruit, et il ne trouva pas la moindre trace de paille et encore moins d’œuf. En revanche, ses godasses étaient sagement posées l'une à côté de l’autre, remplies toutes deux d’eau claire jusqu’en haut.
Il ne comprit jamais rien à cette étrange affaire et mourut très vieux, sans en avoir jamais compris plus. Mais allez savoir si derrière le rideau de la mort, nous ne pénétrons pas soudain la transparence des choses et la clarté blanche des mystères. À l'heure qu'il est, il sait. Sûrement.
Conte extrait de
CONTES ET LÉGENDES D'ALSACE - Patricia Gaillard - Éditions De Borée - 2010
la gaillarde conteuse !