Les Histoires du Lundi 6

Publié le par Patricia Gaillard


 

 

TRAVAUX D’AMOUR

 

Elle était prêtresse, son séjour calme et retiré tout près des eaux sacrées  de la Saine, était tissé de rituels et d’incantations. Autour de sa demeure de bois de lune, étaient de nombreux arbres. Elle connaissait parfaitement les vertus du sorbier, du coudrier, du noisetier, du bouleau et de l’aubépine, qu’on utilisait pour la magie et dont les fruits procuraient le savoir et la connaissance. Un petit pommier sauvage, arbre de l’Autre Monde, était de tous le plus précieux. Ses fruits joufflus et jaune rosé procuraient l’immortalité. Près de cette Dame se tenaient constamment deux oiseaux, un cygne et une oie, que l’on disait messagers des dieux. Cette femme donnait par sa simple présence une grande  force à ce lieu naturel. De plus, elle était belle. Sa longue chevelure en rouleaux cuivrés et ocres, rappelait la splendeur de l’automne dans les bois. Son regard était vert à tel point que les mousses lui étaient des miroirs. Il était si profond qu’on y voyait son âme. Sa peau fine et très pâle lui gardait une jeunesse touchante et délicate. Elle était toujours vêtue d’une robe de chanvre, couleur de ficelle et de terre. Parfois elle en portait une blanche, aux instants particuliers.

L’Esprit Malin qui lui-même apprécie beaucoup de se promener chez nous, s’était épris de cette femme bien plus que ne le tolérait sa troublante  origine… Il aimait de l’amour le partage des chairs, qui est une chose exquise, nous sommes bien d’accord, mais il se tenait soigneusement à l’abri de tout attachement. Il n’avait jusque là jamais failli à cette résolution qui lui était précieuse . Il était , si je puis dire, ce qu’on appelle un Saint de bois. Mais on dit que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis et imbécile, ça, il ne l’était pas ! Cette très belle Dame qui ne le craignait pas, écouta patiemment son discours jusqu’au bout. Elle ne répondit pas tout de suite. Ne disant donc ni oui, ni non. L’espoir en lui grandissait de seconde en seconde. Elle avait entendu parler des dons remarquables que ce personnage avait pour les constructions de toutes sortes. Dans d’autres de nos cantons, vous verrez comme c’est vrai. Elle lui dit de sa voix douce tout en posant sur lui ses yeux vert d’émeraude, et sans même trembler, qu’elle verrait bien une digue retenir les eaux de la Saine pour en faire un bassin. Pour un homme qui aime, un caprice devient parfois un ordre véritable, surtout quand de plus il flatte ses talents. Notre Malin, qui ne l’était plus qu’à demi, se mit immédiatement à l’ouvrage. Sans le moindre petit outils ni calculs d’aucune sorte, ses gestes amples et précis firent en quelques heures, un irréprochable ouvrage. L’eau peu à peu montait et finit par former ce lac que la belle avait désiré.

Les poils de son corps rouge tout perlés de sueur grasse, ses deux grandes mains boueuses et fissurées, la respiration quand même un peu haletante et dans son œil, habituellement ironique et provocateur, le scintillement classique du regard énamouré, il avançait vers la femme qui était appuyée un peu, contre une roche blanche. Il s’approcha bien près, tendait déjà ses lèvres, convaincu que ce si prompt ouvrage avait acheté ce cœur et cette si divine chair. Il pensa même, mais sans rien en dire, que pour une servante des cieux, elle s’était montrée facilement  arrangeante… Mais il fut mal reçu ! La créature pâle dessina sur son front écarlate quelques signes magiques et secrets, de ceux auxquels il est nettement allergique, jusqu’à pousser des hurlements et filer comme le vent !

Où se terra-t-il pour attendre que se consume en lui tout attachement pour cette femme qui connaissait si bien sa fragilité ? Nul n’a pu me le dire. Mais depuis les siècles ont passé et bien des détails sont tombés dans l’oubli. Pourtant, aux environs de Foncine, il y a une retenue d’eau que l’on appelle le lac de la Grange-à-la-Dame. S’il n’y a pas de fumée sans feu, il n’y a pas non plus de nom sans raison…

Quel est le lac, quelle est la source

Qui n’a jamais vue, penchée

La figure blanche et douce

D’une Dame, d’une fée ?

Dans le jura les pierres, les mousses

En sont encore toutes parées

Quand la lumière de l’aube

Montre l’abondante rosée

Dans les gouttes il y a leur robe

Et leurs perlettes nacrées

Mais nos yeux gauches et lourds

N’y voient que l’humidité

 

Patricia Gaillard - Contes et Légendes du Jura - éditions de Borée - 2007

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