Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Conte du 16 Décembre - Calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

Ce matin un récit que je dédie à Alep, où il s'est déroulé. J'ai conté en Syrie, en 2004, pour les journées de la Francophonie. Pouvais-je alors imaginer ce qui lui arrive ? Je suis triste, infiniment, et choquée par notre étrange impuissance qui désunit l'humanité.
 

Pour Alep,

LE VIEUX TEINTURIER

Les souks d’Alep, en Syrie, sont, depuis des temps immémoriaux, les plus beaux du monde. Une kyrielle de ruelles étroites et obscures. Au sol il y a la terre, battue par la multitude des sandales et des babouches. Parfois aussi ce sont des dalles de pierre calcaire, rectangulaires… irrégulières, usées, aplaties, même creusées par endroits.
Et puis cent et cent petites boutiques, côte à côte, simplement murs ouverts, béants, en niches à merveilles. Ou bien encadrées de bois peint ou noirci ou découpé, ou décoré, mais vieux, c’est vieux, ça n’a pas d’âge, ça a toujours été.
D’ailleurs l’aspect de la boutique n’a aucune importance. Le trésor, c’est les marchandises.
Et c’est dans chacune de ces cavernes obscures, envoûtantes, éclairées juste un peu par une ampoule électrique sommaire, que brille, ou chante, ou embaume, tout ce que notre fantasmatique imaginaire occidental peut se représenter d’Orient…
Les souks d’Alep sont, depuis des temps immémoriaux, les plus beaux du monde !
Je pourrais vous les décrire, avec des mots choisis, pesés, fidèles à ce que j’y ai vu.
Non, je vais vous raconter un trésor que j’y ai touché de l’âme.
C’était une boutique encadrée de bois peint, un noir mat, frappant, mortuaire, en tout cas mystérieux. Mais l’atmosphère n’était pas lourde, oh non, tout était silencieux et calme.
Je n’aurais pas été étonnée d’y voir soudain des cornues, des alambics et des relents de philtres sulfureux ! Un homme y était assis. Il était âgé, très noble, ses cheveux ondulés étaient gris nacré. Il portait un costume noir mat, toujours ce noir mat. Veste à l’européenne et pantalon sarouel du même tissu. Une chemise sans col, de toile très fine, couleur crème. Sa cheville, fine couleur d’épice était nue au-dessus des babouches. Il était royal cet homme. Je l’ai regardé, il m’a regardé, je n’ai jamais vu un tel regard. Royal aussi, mais d’un roi intérieur. Il n’a pas fait de geste pour me faire approcher, pour me faire l’article. Impossible d’échanger des mots. Quelle importance. Le silence avait sa place. Silence ailé, silence d’or.
Autour de lui il y avait des pots, des pots, des pots, des tiroirs, des tiroirs, plein de petits tiroirs… une apothicairerie, peut-être ? Devant lui un bout de comptoir. Noir, vous le savez. Et sur ce comptoir une seule chose : un livre. Très épais, très vieux, pages crème, couverture noire, noire, livre sacré, peut-être ?
Il l’ouvre pour moi. Et dans les pages qui tournent, très lentement, sont alignés des fils de couleur. Ces couleurs semblent jaillir comme une musique dans tout ce noir partout, autour. Et ce noir devient berceau, écrin, scène des teintes pliées dans le livre. Sa main lisse les fils, fièrement, puis il empoigne un pot, soulève le couvercle : poudre rouge sang. Des teintures. Il est marchand de teintures. Teintures pour tissus, tissus d’Alep, tout l’orient tissé. Maintenant il sait que j’ai compris. Pour moi il tourne les pages et me présente ce chant de couleurs. Mes yeux vont des fils aux doigts, aux yeux. Noir, poudre sang, la couleur, l’or ! Dans ses gestes, toute sa vie de marchand de teintures et moi invitée à visiter son royaume.
Nous ne nous sommes jamais rien dit. Puis à la fin du livre, pour le remercier,  je me suis inclinée, pour lui dire ce mot que je tâchais d’apprendre depuis que j’étais là-bas, « Mahalsélêmé » qui veut dire « que la paix soit avec toi… »
Après un instant d’étonnement ravi, il s’est incliné à son tour pour me répondre ce même mot « Mahalsélêmè » que la paix soit avec toi…
La plus belle chose de nos vies c’est la rencontre des êtres.
Et le silence est peut-être la seule parole qui soit vraiment la nôtre.

Patricia Gaillard - à Alep - Mars 2004

 

Partager cet article
Repost0

Conte du 14 Décembre - calendrier de l'avent des contes...

Publié le par Patricia Gaillard

Le kougelhopf alsacien, cadeau royal des trois mages

Je vous ai parlé, dans les traditions de Noël de cette ville de Cologne où dorment, dit-on, les trois rois mages, d’un doux repos que je leur souhaite éternel. Leur tranquillité est tout de même très relative, puisqu'ils s'extirpent chaque année, entre le vingt-cinq décembre et le six janvier, de leur tombeau tout décoré de pierres précieuses, pour se rendre au Champ-du-feu.

Une année, précisément un six janvier, ils firent halte chez un potier de Ribeauvillé. Celui-ci leur offrit une très généreuse et sincère hospitalité. Pendant la nuit, alors que le potier dormait paisiblement, comme reposent les êtres qui ont la conscience claire, ces trois rois mirifiques firent un gâteau, pour le remercier. Une fois la pâte faite, selon une recette crée par eux pour la circonstance, ils choisirent dans son atelier un moule vernissé, qui avait une forme de couronne ce qui leur plaisait bien. Au matin, avant de reprendre leur route pour s’en aller se recoucher dans leur tombeau d'éternité, ils offrirent cette pâtisserie encore tiède à leur hôte qui s'en régala, véritablement, tant qu’il en a consigné soigneusement la recette et l’a transmise à ses descendants, qui ne sont autres que nous tous ! Ce potier s'appelait Kugel…

Ce que vous raconteront d'autres sur l’origine de cette merveilleuse brioche régionale, sont de fieffées menteries qu'il sera bon de fuir, car on raconte vraiment parfois n'importe quoi...

à demain !

 

in CONTES ET LÉGENDES D'ALSACE - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2010

 

 

Partager cet article
Repost0

Conte du 12 Décembre - Calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

LE FOURNEAU DE MA VIEILLE MARIA

Ma vieille voisine, presque centenaire, avait comme on dit « la tête entière ». Elle habitait à quelques pas de chez moi, une petite maison simple au bord d’un chemin qui grimpe sec. Sa porte vitrée, protégée la nuit d’un épais volet comme une lourde paupière de bois peint et le jour faisant office de fenêtre de plus, pour aider à l’éclairage le fenêtron serti dans l’épaisseur du mur de pierres blondes, donnait sans détour dans la cuisine, dans ce lieu chaud et odorant où se déroulait depuis des siècles la vie de chaque jour . Quand j’arrivais chez elle il faisait toujours trop chaud. Mais c’était son trop chaud à elle. Pour ses jambes devenues immobiles, pour la rivière de son sang devenue lente, pour les douleurs, les raideurs… c’était le trop chaud de son vieux fourneau. Les vieux, quand ils commencent  à prendre doucement le chemin de repartir, ils sont frileux comme le sont les tout-petits, les tout-tremblants. Les vieux sont frileux comme pour dire « il faut que je m’en retourne… ».

Je mettais pour aller la voir l’hiver, plusieurs épaisseurs pour le dehors et trois fois rien en dessous pour chez elle. Elle me regardait me défaire en souriant. Et je sentais que d’avoir la moitié de son âge j’étais malgré tout une enfant…

Un jour, un matin de gel serré et de soleil blanc, elle m’accueillit en disant, fière :

«  Mes enfants m’ont installé le chauffage central ! »

 Je n’ai pas eu à fouiller derrière ce sourire, derrière ce regard, car dans ses prunelles sombres et luisantes comme des marrons neufs, une lueur petite mais si vive avait disparu.

Nous avons bavardé près du fourneau éteint. Eteint un jour de gel serré et de soleil blanc. Eteint et froid comme peut l’être un mort. Ce jour-là, je m’en suis retournée, songeuse…

Quelques jours plus tard je lui rendis visite. Elle avait retrouvé son air espiègle et déterminé et dans le brun de son œil, la lueur était revenue. Derrière elle, ronflait son fourneau. Ça sentait l’écorce fumante, on entendait des craquements joyeux et la flamme léchait si haut qu’elle sortait comme un follet par le trou du couvercle rond et gris et il faisait dans cette cuisine une chaleur de forge !

« Je refuse de me passer de mon fourneau! »  me dit-elle. Elle était admirable et belle.

Et sur le ruban de cette intuition rose qui circule de cœur de femme à cœur de femme avec son mystère de velours, en un court instant j’ai senti ses méditations des jours derniers et je l’imaginais assise et silencieuse, toute rentrée dans sa mémoire qui disait : «  depuis toujours le feu était là, le premier geste du jour, avant le lait du dernier-né presque éveillé, avant le café fumant, avant les bêtes de l’étable tiède, avant que ne se lèvent ceux que retenait encore un instant la couvaison délicieuse de l’édredon de plume. Le feu, avant tout, le feu. Le gilet de laine rude, les quelques marches de pierre lissée par les sabots, la grange, la panière vaste, le fagotin de brindilles, les bûchettes rondes et fines, et puis les bûches fendues qui éclataient sous la hache en grosses échardes blanches, le tisonnier, la cendre tiède de la nuit qui tombait et cédait la place, l’allumette et sa flamme miraculeusement contagieuse et soudain le crépitement, l’odeur, la tiédeur puis la chaleur, la vie qui reprenait…Le feu, avant tout le feu. Et tous ces fumets autour du fourneau : celui des luisantes châtaignes qui grinçaient dans leur poêle à trous, ceux de la marmite noire ronronnante posée sur le coin au fond à droite, là où la plaque est moins brûlante. Navets fondants, daube lente, soupe du potager, compote de ces petites pommes des moissons qui tombent si vite et qui sentent si bon au-dessus du bouillonnement épais, sucré et rose de la casserole.

Toutes ces odeurs encore là, toujours là, éternellement là dans les mémoires et dans la pierre des murs…

Allait-elle accepter autour du coffre à bois, l’absence de ces miettes d’écorce et de mousse éparpillées qui s’échappaient immanquablement de la bûche empoignée ? Allait-elle accepter sur le carron rouge du sol l’absence des débordements poussiéreux de la cendre grise et légère ? Elle a dit non.

Elle a sauvé sans le savoir la belle lueur vive.

J’étais fière d’elle. De sa force fidèle.

Maria est morte quelques mois plus tard, à cette heure de la nuit où s’éteint doucement la dernière rougeur de la dernière braise. Elles se sont endormies toutes les deux de la même manière, au même instant. Quand je pense à Maria, je la vois monter un chemin, légère comme une plume avec sa tête entière, sa lueur vive dans l’œil, emportant sous son bras son feu avec toute sa vie de femme dedans comme une prière chaude…

 

in Contes et Légendes du Jura - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2007

Partager cet article
Repost0

Conte du 11 Décembre - Calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

sapin bleu givré, un matin de Décembre...

Dans mon Jura, partagé en cantons, il y celui de Nozeroy, où l'humour et l'espièglerie semblent prisés. Ici des historiettes circulent depuis longtemps, on les appelle Racontotes, elles sont de courtes anecdotes rigolotes, ou des petits textes moqueurs.
En voici une...


C'était dans le gros de l'hiver. Un homme partit à pied de Mouthe* vers Nozeroy. Le froid était terrible. La bise lancinante gelait tout. À la barbe glacée du marcheur pendaient des fils de givre. Jamais peut-être on n'avait vu un froid si froid.
Vers Beaupâtrier on l'entendit dire : "Il fait bou..." Après quoi il resta silencieux, dit l'histoire, tout le restant du voyage. Assis au coin du feu, dans une auberge de Nozeroy, après un très long moment, on l'entendit dire : "....grement froid ce matin !"

La bise lui avait gelé la parole dans la bouche...


*Mouthe, dans le doubs, est la ville la plus froide de france. La température baisse tant, l'hiver, qu'on la surnomme La petite Sibérie.

 

Extrait de Contes et Légendes du Jura - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2007 -

 

Partager cet article
Repost0

<< < 1 2 3 4 > >>