Le jardin du 12 Août
3 et fin - LE POMMIER DE MISÈRE
(version de Patricia Gaillard)
« cueille-les pendant que je me prépare, nous gagnerons du temps. »
La mort, qui trouve très bonne l’idée de gagner des minutes, pose sa faux contre le mur et grimpe presque légèrement dans l’arbre, elle y cueille trois pommes et ne peut plus redescendre. Elle s’énerve, peste, jure, appelle misère qui arrive et voit la mort dans son arbre qui se débat comme un diable. Misère part d’un grand éclat de rire et dit :
« Après tout je vais te laisser là-haut, je ne suis pas pressée de mourir et les hommes seront bien contents d’être quelques temps débarrassés de toi !«
Et la mort resta perchée dans le pommier.
Les mois passèrent, plus personne ne mourait dans ce village, ni dans ceux d’alentour, ni dans le Jura entier. Mais pas le moindre mort non plus à Lyon, ni à Toulouse, à Paris, à Lille, à Strasbourg…
Les humains étaient bien obligés de constater que, même s’ils n’en connaissaient pas du tout la raison, ils étaient devenus immortels.
Leur vieux rêve s’était enfin réalisé.
Allez savoir comment...
Misère le savait bien sûr, mais elle se garda bien d’en parler, pour ne pas mourir…
Tout se passa bien durant dix, vingt, trente ans, mais on vit alors des vieillards de 120 ou 130 ans, sourds, aveugles , la mémoire à l’envers, qui se traînaient, décharnés, rabougris, ramollis comme de longues limaces… on vit alors que l’immortalité n’était pas un si grand bienfait. Et puis il y avait tant de vieillards, que les valides ne pouvaient plus rien faire d’autres que de s’en occuper, et même pas dans l’espoir des héritages, car on n’héritait plus. Bref, les humains - ainsi que les bêtes qui ne mouraient pas plus - devinrent si nombreux que la terre ne put plus les nourrir et qu’il arriva une immense famine.
Les humains mirent alors autant d’énergie à retrouver la mort qu’ils en avaient toujours mis à la fuir. On avait toujours cherché des remèdes contre la mort, à présent on en cherchait contre la vie.
Or en ce temps-là il y avait dans ce village un médecin qui s’appelait le Dr Deprofundis. Un soir qu’il était allé en réunion avec les médecins des villages voisins, afin de réfléchir à ce grand problème, il était rentré tard et, longeant le muret du jardin de misère, il avait entendu une voix plaintive, qu’il lui semblait connaître…
« Oh mais qui me délivrera ? Qui délivrera les vivants de l’immortalité ? »
Alors il leva le nez et vit la mort coincée dans le pommier…
Il grimpa aussitôt pour la délivrer, mais bien sûr il resta coincé à son tour.
On constata alors la disparition du Dr Deprofundis. Pourtant personne n’avait disparu depuis des années. Peut être avait-il trouvé le secret de la mort et l’avait-il gardé pour lui tout seul ?
On fit des battues pour le retrouver et c’est ainsi qu’on arriva au pommier de misère.
« Au secours fit le Docteur, je suis là, et voyez mes amis, la mort est avec moi. »
Et tous crièrent
« Vive la mort ! »
Celle-ci, peu habituée à ce genre d’enthousiasme, rougit et trouva cela très agréable.
Ils grimpèrent tous à l’arbre pour délivrer le docteur et la mort, mais bien sûr ils restèrent tous coincés.
Avec tout ce bruit, misère finit par arriver. Elle accepta de délivrer tout ce monde, à une condition :
« la mort ne viendra me chercher que le jour où je l’appellerai trois fois. »
Tope-là, dit la mort, trop contente de descendre enfin et de retrouver sa chère fonction. Elle emporta d’abord les plus pressés, mais devant le nombre elle se fit aider par une troupe de médecins, pour expédier le trop plein de vivants. Ils travaillèrent tous si bien ensemble que bientôt la vie sur terre retrouva son cours normal et chacun avait à nouveau l’espoir de mourir au jour et à l’heure que la destinée avait prévus pour lui.
En ce jour du 12 Août 2020, misère n’a pas encore appelé la mort trois fois.
Et c’est tout simplement pour cela que la misère est encore sur la terre…
Patricia Gaillard,
la gaillarde conteuse...