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Conte du 12 Décembre - Calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

LE FOURNEAU DE MA VIEILLE MARIA

Ma vieille voisine, presque centenaire, avait comme on dit « la tête entière ». Elle habitait à quelques pas de chez moi, une petite maison simple au bord d’un chemin qui grimpe sec. Sa porte vitrée, protégée la nuit d’un épais volet comme une lourde paupière de bois peint et le jour faisant office de fenêtre de plus, pour aider à l’éclairage le fenêtron serti dans l’épaisseur du mur de pierres blondes, donnait sans détour dans la cuisine, dans ce lieu chaud et odorant où se déroulait depuis des siècles la vie de chaque jour . Quand j’arrivais chez elle il faisait toujours trop chaud. Mais c’était son trop chaud à elle. Pour ses jambes devenues immobiles, pour la rivière de son sang devenue lente, pour les douleurs, les raideurs… c’était le trop chaud de son vieux fourneau. Les vieux, quand ils commencent  à prendre doucement le chemin de repartir, ils sont frileux comme le sont les tout-petits, les tout-tremblants. Les vieux sont frileux comme pour dire « il faut que je m’en retourne… ».

Je mettais pour aller la voir l’hiver, plusieurs épaisseurs pour le dehors et trois fois rien en dessous pour chez elle. Elle me regardait me défaire en souriant. Et je sentais que d’avoir la moitié de son âge j’étais malgré tout une enfant…

Un jour, un matin de gel serré et de soleil blanc, elle m’accueillit en disant, fière :

«  Mes enfants m’ont installé le chauffage central ! »

 Je n’ai pas eu à fouiller derrière ce sourire, derrière ce regard, car dans ses prunelles sombres et luisantes comme des marrons neufs, une lueur petite mais si vive avait disparu.

Nous avons bavardé près du fourneau éteint. Eteint un jour de gel serré et de soleil blanc. Eteint et froid comme peut l’être un mort. Ce jour-là, je m’en suis retournée, songeuse…

Quelques jours plus tard je lui rendis visite. Elle avait retrouvé son air espiègle et déterminé et dans le brun de son œil, la lueur était revenue. Derrière elle, ronflait son fourneau. Ça sentait l’écorce fumante, on entendait des craquements joyeux et la flamme léchait si haut qu’elle sortait comme un follet par le trou du couvercle rond et gris et il faisait dans cette cuisine une chaleur de forge !

« Je refuse de me passer de mon fourneau! »  me dit-elle. Elle était admirable et belle.

Et sur le ruban de cette intuition rose qui circule de cœur de femme à cœur de femme avec son mystère de velours, en un court instant j’ai senti ses méditations des jours derniers et je l’imaginais assise et silencieuse, toute rentrée dans sa mémoire qui disait : «  depuis toujours le feu était là, le premier geste du jour, avant le lait du dernier-né presque éveillé, avant le café fumant, avant les bêtes de l’étable tiède, avant que ne se lèvent ceux que retenait encore un instant la couvaison délicieuse de l’édredon de plume. Le feu, avant tout, le feu. Le gilet de laine rude, les quelques marches de pierre lissée par les sabots, la grange, la panière vaste, le fagotin de brindilles, les bûchettes rondes et fines, et puis les bûches fendues qui éclataient sous la hache en grosses échardes blanches, le tisonnier, la cendre tiède de la nuit qui tombait et cédait la place, l’allumette et sa flamme miraculeusement contagieuse et soudain le crépitement, l’odeur, la tiédeur puis la chaleur, la vie qui reprenait…Le feu, avant tout le feu. Et tous ces fumets autour du fourneau : celui des luisantes châtaignes qui grinçaient dans leur poêle à trous, ceux de la marmite noire ronronnante posée sur le coin au fond à droite, là où la plaque est moins brûlante. Navets fondants, daube lente, soupe du potager, compote de ces petites pommes des moissons qui tombent si vite et qui sentent si bon au-dessus du bouillonnement épais, sucré et rose de la casserole.

Toutes ces odeurs encore là, toujours là, éternellement là dans les mémoires et dans la pierre des murs…

Allait-elle accepter autour du coffre à bois, l’absence de ces miettes d’écorce et de mousse éparpillées qui s’échappaient immanquablement de la bûche empoignée ? Allait-elle accepter sur le carron rouge du sol l’absence des débordements poussiéreux de la cendre grise et légère ? Elle a dit non.

Elle a sauvé sans le savoir la belle lueur vive.

J’étais fière d’elle. De sa force fidèle.

Maria est morte quelques mois plus tard, à cette heure de la nuit où s’éteint doucement la dernière rougeur de la dernière braise. Elles se sont endormies toutes les deux de la même manière, au même instant. Quand je pense à Maria, je la vois monter un chemin, légère comme une plume avec sa tête entière, sa lueur vive dans l’œil, emportant sous son bras son feu avec toute sa vie de femme dedans comme une prière chaude…

 

in Contes et Légendes du Jura - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2007

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Conte du 11 Décembre - Calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

sapin bleu givré, un matin de Décembre...

Dans mon Jura, partagé en cantons, il y celui de Nozeroy, où l'humour et l'espièglerie semblent prisés. Ici des historiettes circulent depuis longtemps, on les appelle Racontotes, elles sont de courtes anecdotes rigolotes, ou des petits textes moqueurs.
En voici une...


C'était dans le gros de l'hiver. Un homme partit à pied de Mouthe* vers Nozeroy. Le froid était terrible. La bise lancinante gelait tout. À la barbe glacée du marcheur pendaient des fils de givre. Jamais peut-être on n'avait vu un froid si froid.
Vers Beaupâtrier on l'entendit dire : "Il fait bou..." Après quoi il resta silencieux, dit l'histoire, tout le restant du voyage. Assis au coin du feu, dans une auberge de Nozeroy, après un très long moment, on l'entendit dire : "....grement froid ce matin !"

La bise lui avait gelé la parole dans la bouche...


*Mouthe, dans le doubs, est la ville la plus froide de france. La température baisse tant, l'hiver, qu'on la surnomme La petite Sibérie.

 

Extrait de Contes et Légendes du Jura - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2007 -

 

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Conte du 6 Décembre - Premier conte

Publié le par Patricia Gaillard

LES NOIX D'OR  

C'était une journée d'automne, le soleil encore chaud jouait avec les jaunes et les grenats des feuilles, qu'un vent léger faisait tourbillonner. Une fillette trottinait le long des prés, elle était pauvrement vêtue et tenait un panier d'osier. Partout, les noix avaient déjà été glanées et soigneusement étalées dans les greniers du village. Mais la petite cherchait celles qui restaient encore, cachées sous les amas de feuilles et dans les grosses touffes d'herbe, ou qui avaient roulé au creux des fossés. Elle en trouva peu, juste un bon fond de panier, mais comme il n'avait pas plu depuis longtemps, le bois de leur coque était neuf et bien clair. Elle avait tant fouillé, sous les grands noyers, où restaient pendues quelques dernières feuilles racornies et presque noires, qu’elle fut surprise de voir le crépuscule installer doucement sa grisaille troublante. Serrant bien sa cueillette, elle se dirigea vers son village de Durstel. Sur un sentier elle croisa un vieillard, assis sur une borne. Il était très maigre, tout plissé de rides et une longue barbe grise ruisselait sur sa méchante tunique de chanvre. Il tendit la main vers l'enfant, ses yeux étaient si doux que la petite s'approcha, souriante. Il disait avoir faim et reluqua en se penchant, les belles noix dans le panier.

Seul un pauvre peut savoir la souffrance d'un pauvre. L’enfant posa le corbeillon sur les genoux du vieux. Celui-ci y plongea les mains, qu'il avait longues, et en saisit une poignée généreuse. Quand il rendit le panier, il y restait trois noix. L'enfant en eut les larmes aux yeux. Il n'y avait rien à regretter, bien sûr, mais revenir avec trois noix, c'était si peu !

Le vieillard lui dit :
« Ton bon cœur sera récompensé. »
Sa voix était si douce que la fillette de toute sa vie jamais ne devait l’oublier. Elle poussa d’un grand coup la porte du logis et se jeta contre les genoux de sa mère qui, n'aimant pas la savoir dehors la nuit, fut toute soulagée. La petite, désolée, lui tendit la corbeille, qu’elle rendait aussi légère qu’elle l’avait emportée. La femme regarda la maigre récolte, mais dans la pénombre rougie, devant la cheminée, trois noix d'or luisaient au fond du panier. La femme et son enfant admirèrent, muettes, le fabuleux trésor. La petite alors raconta sa rencontre.

De ce soir-là leur vie devint bonne, jamais rien n'y manqua.

Ainsi peut-être ce qu'on donne, nous revient mille fois.

Extrait des Contes et Légendes d'Alsace - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2010

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5 Décembre - Un Merveilleux Décembre...

Publié le par Patricia Gaillard

Voyez ce soleil d'or et ces haies givrées qui semblent saupoudrées de cristal. Ne trouvez-vous pas que Décembre est un chemin vers Noël et que ce chemin est quasiment meilleur que le Noël lui-même ? je ne parle pas là des lumières artificielles des villes et des décors en plastique. Je parle de cette pénétration lente de la nature dans l'inévitable hiver, de ces jours qui raccourcissent, de ces houx aux baies rouge sang, de ces dentelles de givre sur les herbes et les feuilles, de ces brumes laiteuses, mystérieuses, qui cachent jalousement les paysages, de ces quelques dernières feuilles d'érables qui résistent et qui offrent les ultimes ocres et orange de leur feu mourant, de ce fauteuil près du feu, de cette tisane d'hiver aux épices.

Ça vous plaît, n'est ce pas ?

Et si je venais chaque jour ici vous raconter une histoire ? Quel bon rendez-vous... Une espèce de calendrier de l'avent pas ordinaire, juste pour vous, pour célébrer ce charme de l'hiver...

nous commencerons demain...

à demain, chers rêveurs...

le petit bois, près de chez moi


 

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