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Conte du 23 Décembre - calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

Ça c'est une histoire pour tous mes frères conteurs.
Pourquoi suis-je venue chaque jour vous donner une histoire ? Parce que je suis conteuse, parce que c'est l'hiver, parce que si on ne raconte pas d'histoires on perd de vue l'essentiel, les contes sont là pour nous rendre les clefs qu'on oublie,
Voyez plutôt l'histoire... 

LE MULOT CONTEUR

Trois petits mulots, un jour d’automne, reniflent autour d’eux… mmmm l’hiver n’est pas loin.

Jusque là ils squattaient un vieux nid dans la haie d’églantiers. Mais là, il faut être sérieux, ils se font un terrier, profond, avec une chambre et un grenier.

Dans la chambre on met de la mousse, des feuilles des herbes sèches, le tout finement haché, ça fait une moquette odorante et confortable…

Il s’agit maintenant de remplir le grenier.

Deux d’entre eux, du genre courageux, actifs et prévoyants, s’en vont chercher de quoi : des graines, des fruits secs, des champignons, des mousses, des escargots, des vers de terre, même secs, des mûres, ah oui les mûres, ils adorent…

Ils roulent, portent, traînent, roulent, poussent tout ça jusqu’au terrier, de nuit, tout en se méfiant des hiboux et des chouettes, des chats et des blaireaux, qui croquent très volontiers ces festins minuscules d’une vingtaine de grammes...

Le troisième compère se prélasse, rêvasse, sur un épais tapis de mousse, au pied d’un pommier sauvage dont les fruits ronds brillent sous la lune. Il contemple le turban du ciel bleu sombre piqué d’étoiles, il écoute les chants des nocturnes, il renifle les parfums de l’automne. Rien ne lui échappe de tous les frôlements, frissonnements, frémissements de la nuit. Il rêve, il médite, c’est un poète, un artiste.

Les deux autres, courageux, actifs, prévoyants, lui disent : t’es paresseux, t’es un lâcheur, t'es la cigale de la fourmi, tu ne mériteras pas de manger quand viendront la bise et les gelées ! Aide-nous !!

Il ne peut pas. C’est plus fort que lui.

Voilà l’hiver. Ils sont contents tous les trois d’avoir un bon abri. Le grenier est plein. Ils pourront même se permettre d’inviter parfois des mulotes à dîner.

Dans ce terrier, si on mange très bien, par contre on s’ennuie ! Les nuits sont longues. On sort un peu, mais on revient vite. Houla, trop de vent, de la neige et tous ces hiboux qui ont faim, c’est dangereux ! Heureusement on leur échappe souvent, on saute haut, on grimpe aux arbres, on abandonne dans leurs becs acérés le petit bout de sa queue et on est sauvé !

Alors on revient, on est content. Mais on s’ennuie !

C’est là que le mulot-poète se met à raconter le ciel, les étoiles, les pommes luisantes, les chants, les parfums, les frôlements, les frémissements, les frissonnements… toutes les choses qu’il a pris le temps d’entendre et de voir. Toutes ces histoires…

On l’écoute, à demi-couché, les yeux mi-clos, avec délice, les deux pattes croisées sur les ventres bien pleins.

Et à ce moment-là, à ce moment-là seulement, on se dit :
On a besoin de rêve, tout autant que de pain

 

Un conte de Patricia Gaillard, raconteuse d'histoires...

N'hésitez pas à me chiper cette histoire pour la raconter, car elle dit bien ce que nous sommes, je vous l'accorde avec grand plaisir !

 

 

 

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Conte du 22 Décembre - calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

LE SOULIER DU CURE DE CRANCOT

Au village de Crançot, où déjà on avait la fontaine de Conge, qui guérissait disait-on les maladies des yeux, on avait aussi un fameux curé. Il avait, avec les intempéries, de fraternelles conversations qui leur faisaient faire demi-tour, quand elles arrivaient mal à propos pour la terre ou pour les grains. Les paroissiens avaient fini par trouver très normal de voir s’en retourner les grands nuages noirs ou jaune sombre, qui menaçaient de lâcher là leurs grêles ou leurs pluies lourdes, ces choses violentes qui parfois tombent très mal.

Un jour qu’il était occupé à se vêtir pour dire sa messe, tout un groupe de villageois frappa à la porte de la sacristie. Leur curé les reçut. On lui parla d’un orage terrible qui venait à grand pas, et d’un nuage énorme, gris foncé avec un cœur jaune, signe de grêle, qui s’était quasiment planté sur le clocher.

Notre bonhomme sortit en courant, l’étole flottant derrière lui comme un long fanion blanc et arrivé sur le parvis, il se déchaussa d’un soulier, l’empoigna et le lança au ciel, en poussant quelques mots d’un ton autoritaire… le nuage, sermonné, quitta sa place en s’élevant comme une montgolfière et le ciel nettoyé, lissa son bleu de mer. Certains restèrent le nez en l’air un grand moment. Mais jamais on ne vit revenir la godasse magique… !

Ce jour-là la messe fut dite les pieds nus, qu’importe, elle fut dite.

 

Les éléments peut-être, aimeraient nous voir moins d’impuissance devant leurs menaces et leurs secrets ? Ne sommes-nous pas devenus terriblement timides et incapables de convaincre une petite pluie de tomber, ou de passer son chemin ?

C’est, bien sûr, une théorie de conteuse !

Cependant, … ce n’est pas parce que c’est impossible que nous n’y croyons pas, c’est parce que nous n’y croyons pas, que c’est impossible.

 

Je vous sens soudain rêveur.

Puisque nous parlons de chaussures… Savez-vous que les bergers russes, allaient sans chaussures à la première sortie de leurs troupeaux ? Ils disait qu’ils éloignaient ainsi les loups et les ours pour l’année.

Devinette : Sa taille est celle d’un lapin. Sa charge est celle d’un âne. La chaussure, bien sûr !

Et en écosse, si une paire de chaussures, même neuves, se trouvent sur une table, elle annonce de gros soucis d’argent.

En Italie, des chaussures qui grincent disent : « celui qui nous porte, ne nous a pas encore payées ! »

Les chaussures magiques courent le monde. Ainsi celles de l’ogre, qui sont des bottes immenses, qui font sept lieues à chaque pas et qui de plus vont très bien à tous les pieds qui s’y enfoncent, même ceux, si petits, du petit Poucet. Et ce soulier de fée que le prince a trouvé, que la jeune fille a perdu et qui de tous les pieds du monde ne reçoit que le sien ! Et puis il y a ce soulier de Crançot, qui peut-être, depuis ce lointain dimanche-là, court après les nuages et ne s’arrêtera que lorsque

le monde aura fini de tourner,

et nous de marcher

et de raconter

des histoires.

 

in CONTES ET LÉGENDES DU JURA - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2007

 

 

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Conte du 21 Décembre - calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

Il est court ce récit, mais il ne vous laissera pas sur votre faim. Il me rappelle une phrase d'Oscar Wilde : "Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains regardent les étoiles."

N'oubliez pas de regarder les étoiles. C'est le solstice d'hiver, la nuit prochaine sera la plus longue.

et voici cette petite histoire...
 

Six bûcherons, des plus rudes, tentent de soulever un arbre immense qu’ils ont abattu.
Malgré leur remarquable force, ils en sont incapables.
Mais soudain l’un d’entre eux, sautant sur le tronc, se met à chanter.
Et voilà que les cinq, portés par le chant du sixième - toujours debout sur le fût colossal - parviennent à bouger l’arbre.
Telle est la condition de l’artiste : il est un poids de plus pour l’humanité,
il ne produit rien, mais il donne une force.

Le vagabond enchanté - Leskov

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Conte du 19 Décembre - calendrier de l'avent des contes

Publié le par Patricia Gaillard

hou hou !! Un petit tour en Alsace et me voici...
vous rattraperez ce retard, en découvrant deux jours à la fois...
Promis, j'le f'rai plus...

Photo de mon pare-brise givré

FRAU HOLLE

Ce conte nous parle d’une femme qui était veuve et qui avait deux filles. La première était née un jour de grand soleil. L’astre brillait tant dans ses cheveux déjà longs, qu’on l’avait appelée Marie en or. La seconde était née une nuit de lune, autour d'elle tout était obscur et froid, ses cheveux déjà abondants étaient sombres comme la nuit, on l’avait appelée Marie la noire…

La mère chargeait l’aînée de tous les travaux et gâtait la plus jeune. On fait mal ainsi parfois, le partage de l’amour. Ainsi chaque jour, dès l’aurore, Marie en or devait éplucher, cuisiner, ranger, nettoyer, laver, frotter, repasser, raccommoder, tisser, filer !
Filer… ? C’était bien encore ce qu’elle préférait. C’était calme, lent comme la vie qui s’écoule. Les doigts seuls étaient occupés, l’esprit pouvait s’en aller tranquille et ce rythme réveillait des chansons, des histoires…

Mais le lin rêche déchire les doigts. Pauvre Marie en or, ton sang a sali la quenouille !
Marie en or s’arrête, s’affole, que faire, la mère parfois est si acariâtre ! Alors elle court au puits, pose la quenouille sur la margelle, fait descendre le seau. Elle va laver ce sang, l’eau est bien froide, c’est facile.

Mais pendant que le seau monte, la quenouille s’agite. Qui la pousse ? Est-ce ce vent étrange ? La quenouille tombe dans le puits. Dans cette maison, une quenouille perdue vaut encore plus de coups qu’une quenouille salie. Marie en or se penche. Elle voit le disque sombre de l’eau noire, au fond, c’est terrifiant, mais sa vie l’est aussi. Marie en or saute dans le puits. Elle tombe sur l’eau, elle traverse l’eau, elle va sûrement mourir. Non, car au fond de cette eau, il n’y a pas d’eau, mais de l’herbe douce, de la lumière jaune, une porte ronde. Marie en or la pousse et se retrouve dans l’autre monde. Un monde tout fait de mousses et de lierres, éclatants de rosée, scintillants d’étoiles et peuplés d’oiseaux au plumage de miel.

Quelques cris plaintifs et pathétiques coupent le silence serein. Marie en or se précipite et découvre un pommier qui supplie qu’on lui cueille ses pommes. Elle   le débarrasse de tous ses fruits. Ils sont ronds, mûrs, rouges et luisants. Elle en fait un tas. Plus loin un four supplie qu’on le débarrasse de ses pains. Marie en or ouvre la lourde porte, et d’une longue pelle plate posée là, elle sort toutes les miches rondes, croustillantes et dorées. Mais elle entend des plaintes, plus terribles encore. Dans une clairière ronde, une source supplie qu’on la nettoie. Marie en or la débarrasse de toutes les saletés. Les plaintes à présent se sont tues et dans le vent on entend un long murmure…
« Nous n’oublierons jamais Marie, nous n’oublierons jamais… »
Mais c’est la nuit, Marie en or s’endort …

Au matin elle se trouve devant une curieuse demeure. Une vieille, penchée à une fenêtre, secoue un gros édredon de plume et il neige sur la terre. C’est Frau Holle. Vieille fée laide, au long nez tordu, si chaleureuse.

«Entre, ma fille, entre donc. Tu peux rester ici, en échange d’un peu de travail. »
Chez Dame Holle tout est rond, blanc, léger, moelleux, mousseux et doux comme de la neige. Frau Holle dit à Marie en or qu’elle aura deux travaux à effectuer ici chaque jour.
« Tout d’abord tu entreras dans ma chambre, tu y verras un lit tiré de draps blancs, de dentelles mousseuses, et un gros édredon de plumes. Empoigne-le et secoue-le sur mon balcon, car il faut qu’il neige sur la terre. Tu m’entends bien, Marie en or, il faut qu’il neige sur la terre. Ensuite tu descendras dans ma cave, par un escalier étroit, humide - tu feras attention de ne pas glisser – et tu trouveras là tout un peuple de petites bêtes de l’ombre et de l’humidité. Tu les caresseras du bout des doigts, avec douceur, et tu les nourriras, car il faut qu’elles soient nourries. Tu m’entends bien, Marie en or, il faut qu’elles soient nourries, chaque jour.»

Chaque jour la fille se rend dans la chambre de Frau Holle. Il y a là un lit immense, garni de draps et d’oreillers de dentelles blanches et mousseuses et d’un gros édredon de plumes. Marie en or secoue l’édredon de Frau Holle. C’est amusant. Comme elle est loin de tous ces travaux épuisants qu’elle faisait dans notre monde.

Ici Marie en or est bien soignée, bien logée, bien aimée. Mais sommes-nous faits pour rester dans l’autre monde ? Marie en or sait qu’elle doit quitter Frau Holle. Alors un soir, elles prennent ensemble une dernière tisane, de mélisse et de verveine, dans des tasses de porcelaine blanche où les cristaux du sucre candi semblent des pierres précieuses. Frau Holle veut faire un présent à Marie en or. Elles descendent toutes les deux dans la cave et rejoignent le peuple de bêtes de l’ombre et de l’humidité que Frau Holle caresse du bout des doigts, avec douceur. Ces bêtes étranges semblent être les gardiennes de tout un empilement de très petites boîtes, toutes identiques. Frau Holle en choisit une :
« Prends ça, Marie, mais fais bien attention, car un royaume entier est contenu dedans. »
Un royaume entier dans une boîte ! Décidément, Frau Holle n’est pas une personne ordinaire ! Et la fille range la boîte prodigieuse dans la poche de sa ceinture.

Marie en or s’en va au petit matin. Elle emporte la quenouille propre qui a été déposée mystérieusement sur son lit. Frau Holle sommeille encore sous son édredon douillet. Le chemin vers la porte du puits paraît, ce matin-là, curieusement long. Marie en or a soif, elle a faim. Elle trouve un gobelet d’argent sur la pierre de la source et y boit l’eau si pure, puis elle se régale d’une pomme tendue par le pommier et d’un pain parfumé cuit au four. Et tout en grignotant, elle arrive sans détours à la porte ronde. Marie s’y engouffre et remonte, dans notre monde.

Quel étonnement à la maison. On pensait Marie en or perdue, partie, morte, peut-être. On a presque plaisir à la revoir ! La mère voit soudain la boîte, dans la poche de la ceinture. « Tiens, c’est quoi, cette boîte, un cadeau ? Montre-nous ! » Marie en or soulève le couvercle de la boîte. Il en sort des chevaux, des vaches, des cochons, des châteaux, des arbres, des fruits, des étoiles, des vents, des livres, des maisons, des chemins, des saisons, des jardins, des pluies. Et tout ça c’est petit, petit, mais ça grandit, grandit, de quoi garnir tout un royaume ! C’était donc vrai !

La mère devient tout miel…
« Ma petite Marie en or, où étais-tu donc pendant tout ce temps ?
- Chez Frau Holle
- Chez Frau Holle ? Comment est-ce possible ? Où cela ? …
- Tout au fond du puits. Sous l’eau, il n’y a pas d’eau, mais de l’herbe douce, une lumière jaune, une porte ronde, qui mène à l’autre monde.
- Marie la noire, tu as bien entendu le récit de ta sœur ? Tu vas immédiatement faire la même chose, pour rapporter une boîte toi aussi. Dépêche-toi ! » Le ton est plus que sec.

Marie la noire, la préférée, n’a pas du tout envie d’y aller. Mais elle a tout de même peur de sa mère et elle s’en va se jeter dans le puits. Tombée sur l’eau elle descend, descend, tout est noir, elle va sûrement mourir… Pourtant au fond de cette eau, il n’y a pas d’eau, mais de l’herbe très douce et une lueur jaune qui éclaire une porte ronde. Marie la noire la pousse et entre dans l’autre monde. Un monde tout fait de mousses et de lierres, éclatants de rosée, scintillants d’étoiles et peuplés d’oiseaux au plumage de miel. Quelques cris plaintifs coupent le silence serein. Un pommier supplie qu’on lui cueille ses pommes. « Tes pommes ne m’intéressent pas, je cherche une boîte ! » Un four supplie qu’on sorte ses pains. « Tes pains ne m’intéressent pas, je cherche une boîte ! » Une source supplie qu’on la nettoie. « Ton eau ne m’intéresse pas, je cherche une boîte ! »
Dans le vent s’élève une lente plainte sourde :
« nous n’oublierons jamais, Marie, nous n’oublierons jamais »
Mais voilà la nuit, la lune, Marie la noire s’endort…

Au matin elle se trouve devant une curieuse demeure. Une vieille, rondelette, espiègle, penchée à une fenêtre, secoue un gros édredon de plumes et il neige sur la terre. C’est Frau Holle.
« Entre, ma fille, entre donc. Tu peux rester ici, en échange d’un peu de travail. Chaque jour tu entreras dans ma chambre, tu y verras un lit tiré de draps blancs, de dentelles mousseuses et un gros édredon de plumes. Empoigne-le et secoue-le sur mon balcon, car il faut qu’il neige sur la terre. Tu m’entends bien, Marie la noire, il faut qu’il neige sur la terre. Ensuite tu descendras dans ma cave, l’escalier est étroit et humide - tu feras attention de ne pas glisser – tu verras là tout un peuple de petites bêtes de l’ombre et de l’humidité. Tu les caresseras du bout des doigts, avec douceur, et tu les nourriras, car il faut qu’elles soient nourries. Tu m’entends bien, Marie la noire, il faut qu’elles soient nourries. »

« C’est quoi ce travail idiot de vieille folle ? Je suis sûrement venue faire son ménage ! » Se dit la fille, exaspérée. Alors elle fait semblant, pour tromper Frau Holle. Mais il ne neige plus sur la terre. Frau Holle le sait. Elle ne dit rien. Frau Holle ne dit jamais rien.

Puis très vite Marie la noire veut repartir. Elle pense que ce monde est un tissu de bêtises, d’illusions, de naïvetés. La vieille fée, bien sûr, veut faire un présent à Marie la noire. Elles descendent toutes les deux dans la cave. Là il y a tout le peuple de bêtes de l’ombre et de l’humidité que Frau Holle caresse du bout des doigts, avec douceur et qui semblent garder les petites boîtes, toutes semblables et si gracieusement empilées. Frau Holle en prends une :
- « Tiens, Marie la noire, mais surtout fais bien attention, car tout un royaume est contenu dedans ! »
- Je sais, je sais, dit Marie la noire. »
Elle s’en va maintenant, elle s’en va tout de suite. Il fait nuit, il fait noir ? Oh, ce n’est pas grave, Marie la noire a l’habitude, il y a toujours un coin de lune pour faire une lampe.

Ce soir il n’y a pas de lune et il fait si terriblement chaud ! Marie a soif, mais la source se retire chaque fois qu’elle s’approche. Elle a faim, mais le four se referme sur ses pains et le pommier se replie sur ses fruits. Et ce chemin qui est si long ! Elle se tord les chevilles aux ornières, se blesse aux ronces crochues, elle n’en peut plus quand elle arrive enfin à la porte. Marie la noire s’y engouffre et remonte dans notre monde.

La mère est ravie, elle rit et s’empare de la boîte.
« La même boîte, exactement la même ! Tu peux garder la tienne, Marie en or, Marie la noire a la même ! » Et tout en sifflant ces paroles, elle soulève le couvercle. De la cassette jaillissent alors des couleuvres, des vipères, des lombrics, des puces, des virus, des teignes, des poux, des microbes, de quoi remplir tout un royaume, car il faut de tout pour faire un monde ! Et tout ça c’est petit, petit, et ça grandit, grandit ! La mère très vite referme le couvercle. « ça suffit ! Des coups, Marie en or, tu vas avoir des coups, tu vas nous payer ça ! »

Cette fois-ci Marie en or s’enfuit jusqu’au bois, son coffret sous le bras. Elle ne reviendra plus. Elle vit dans ce bois des semaines, des mois, des années peut-être. Elle entend le langage des bêtes et des plantes, comme elle avait entendu celui du pommier et de la source. Elle tient sa boîte contre elle, logée dans une ceinture, parfois elle soulève le couvercle. Elle ne manque de rien. Elle est cependant seule, si seule.

Un jour elle rencontre un chasseur. Il lui trouve l’air si doux qu’il veut la garder près de lui. « Cette boîte à ta ceinture, c’est un trésor ?
C’est tout ce que j’ai, mon bon seigneur, j’ai perdu tout le reste. »

Eh bien, ils ont fini par s’épouser. Il a bon goût cet homme, et du flair, car dans les yeux voilà de quoi parler d’amour et dans la boîte, voilà de quoi peupler autour. Un vrai et beau royaume ! Il n’y avait pas de bébés dans cette boîte, mais je crois qu’ils ont su les faire tout seuls.

Étrangement, il y avait très peu de vipères, de lombrics, de poux, dans ce royaume, car l’autre boîte était maintenue fermée et on dit qu’elle l’est encore. Marie la noire et sa mère sont assises dessus - pour l’instant – mais attention, elles vont bien finir par se lasser !

Rentrez chez vous bien vite et s’il neige, vous saurez que je n’ai pas menti !

in CONTES ET LÉGENDES D'ALSACE - Patricia Gaillard - éditions De Borée - 2010

 

 

 

 

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